HISTOIRE CORSE (2)
Par Michel Bellin le mardi 17 février 2009, 08:37 - Lien permanent
Ces jours-ci, la Corse est à la une et on n'a pas fini de parler du procès d'Yvan Colonna, surtout après le rebondissement suite aux déclarations de Didier Vinolas. Coupable ou non, les relents d'un « procès politique » sentent déjà très mauvais. D'autre part, si mon ami Jacques Gaillot se mouille, ce n'est sans doute pas à la légère : à quand le retour de la normalité judiciaire en France et le respect de la présomption d'innocence ?
Retour à la littérature : la nuit dernière, alors que mon esprit insomniaque passait en revue l'actualité, un nom a soudain jailli dans ma mémoire à propos du berger de Cargèse : « Mon père est Mateo Falcone ». Mateo Falcone ? Où était-ce ? Quand ? Des syllabes pleines d'un mâle orgueil… mais oui ! j'associai vite ce nom à mon enfance studieuse, à un des lectures qui m'avait alors très impressionné, une célèbre nouvelle de Mérimée. Terminée le 14 février 1829 et publiée avec le sous-titre“ Mœurs de la Corse”, cette nouvelle parut le 3 mai 1829, dans la Revue de Paris, fondée au mois d'avril de la même année. Ce texte apporta richesse et célébrité à son auteur. La couleur locale, si fortement marquée dans cette nouvelle, est puisée dans les sources livresques, puisque Prosper Mérimée ne visitera la Corse que dix ans plus tard.
Je n'ai encore jamais visité l'île de Beauté mais j'ai de nouveau vibré à cette terrible histoire que je mets en ligne cette semaine en trois épisodes successifs.
Retour à la littérature : la nuit dernière, alors que mon esprit insomniaque passait en revue l'actualité, un nom a soudain jailli dans ma mémoire à propos du berger de Cargèse : « Mon père est Mateo Falcone ». Mateo Falcone ? Où était-ce ? Quand ? Des syllabes pleines d'un mâle orgueil… mais oui ! j'associai vite ce nom à mon enfance studieuse, à un des lectures qui m'avait alors très impressionné, une célèbre nouvelle de Mérimée. Terminée le 14 février 1829 et publiée avec le sous-titre“ Mœurs de la Corse”, cette nouvelle parut le 3 mai 1829, dans la Revue de Paris, fondée au mois d'avril de la même année. Ce texte apporta richesse et célébrité à son auteur. La couleur locale, si fortement marquée dans cette nouvelle, est puisée dans les sources livresques, puisque Prosper Mérimée ne visitera la Corse que dix ans plus tard.
Je n'ai encore jamais visité l'île de Beauté mais j'ai de nouveau vibré à cette terrible histoire que je mets en ligne cette semaine en trois épisodes successifs.
[Le jeune Fortunato a caché un bandit en fuite. Il refuse de révéler l'endroit à l'adjudant Tiodoro Gamba.]
L'adjudant et sa troupe se donnaient au diable; déjà ils regardaient sérieusement du côté de la plaine, comme disposés à s'en retourner par où ils étaient venus, quand leur chef, convaincu que les menaces ne produiraient aucune impression sur le fils de Falcone, voulut faire un dernier effort et tenter le pouvoir des caresses et des présents.
« Petit cousin, dit-il, tu me parais un gaillard bien éveillé ! Tu iras loin. Mais tu joues un vilain jeu avec moi; et, si je ne craignais de faire de la peine à mon cousin Mateo, le diable m'emporte ! je t'emmènerais avec moi.
- Bah!
- Mais, quand mon cousin sera revenu, je lui conterai l'affaire, et, pour ta peine d'avoir menti, il te donnera le fouet jusqu'au sang.
- Savoir ?
- Tu verras... Mais tiens... sois brave garçon, et je te donnerai quelque chose.
- Moi, mon cousin, je vous donnerai un avis: c'est que, si vous tardez davantage, le Gianetto sera dans le maquis, et alors il faudra plus d'un luron comme vous pour aller l'y chercher. »
L'adjudant tira de sa poche une montre d'argent qui valait bien dix écus; et, remarquant que les yeux du petit Fortunato étincelaient en la regardant, il lui dit an tenant la montre suspendue au bout de sa chaîne d'acier:
« Fripon ! tu voudrais bien avoir une montre comme celle-ci suspendue à ton col, et tu te promènerais dans les rues de Porto-Vecchio, fier comme un paon; et les gens te demanderaient: « Quelle heure est-il ? » et tu leur dirais: « Regardez à ma montre- »
- Quand je serai grand, mon oncle le caporal me donnera une montre.
- Oui; mais le fils de ton oncle en a déjà une... Pas aussi belle que celle-ci, à la vérité... Cependant il est plus jeune que toi. » L'enfant soupira. « Eh bien, la veux-tu cette montre, petit cousin ? »
Fortunato, lorgnant la montre du coin de l'œil, ressemblait à un chat à qui l'on présente un poulet tout entier.
Et comme il sent qu'on se moque de lui, il n'ose y porter la griffe, et de temps en temps, il détourne les yeux pour ne pas s'exposer à succomber à la tentation; mais il se lèche les babines à tout moment, il a l'air de dire à son maître: « Que votre plaisanterie est cruelle ! »
Cependant l'adjudant Gamba semblait de bonne foi en présentant sa montre. Fortunato n'avança pas la main; mais il lui dit avec un sourire amer:
« Pourquoi vous moquez-vous de moi ?
- Par Dieu ! je ne moque pas. Dis-moi seulement où est Giametto, et cette montre est à toi. »
Fortunato laissa échapper un sourire d'incrédulité; et, fixant ses yeux noirs sur ceux de l'adjudant, il s'efforçait d'y lire la foi qu'il devait avoir en ses paroles.
« Que je perde mon épaulette, s'écria l'adjudant, si je ne te donne pas la montre à cette condition ! les camarades sont témoins; et je ne puis m'en dédire. »
En parlant ainsi, il approchait toujours la montre, tant qu'elle touchait presque la joue pâle de l'enfant. Celui-ci montrait bien sur sa figure le combat que se livraient en son âme la convoitise et le respect dû à l'hospitalité. Sa poitrine nue se soulevait avec force, et il semblait près d'étouffer. Cependant la montre oscillait, tournait, et quelquefois lui heurtait le bout du nez. Enfin, peu à peu, sa main droite s'éleva vers la montre; le bout de ses doigts la toucha; et elle pesait tout entière dans sa main sans que l'adjudant lâchât pourtant le bout de la chaîne... Le cadran était azuré... La boîte nouvellement fourbie... au soleil, elle paraissait toute de feu, La tentation était trop forte.
Fortunato leva aussi sa main gauche, et indiqua du pouce, par-dessus son épaule, le tas de foin auquel il était adossé. L'adjudant le comprit aussitôt. Il abandonna l'extrémité de la chaîne; Fortunato se sentit seul possesseur de la montre. Il se leva avec l'agilité d'un daim, et s'éloigna de dix pas du tas de foin, que les voltigeurs se mirent aussitôt à culbuter.On ne tarda pas à voir le foin s'agiter; et un homme sanglant, le poignard à la main, en sortit; mais, comme il essayait de se lever en pied, sa blessure refroidie ne lui permit plus de se tenir debout. Il tomba L'adjudant se jeta sur lui et lui arracha son stylet. Aussitôt on le garrotta fortement malgré sa résistance.
Gianetto, couché par terre et lié comme un fagot, tourna la tête vers Fortunato qui s'était rapproché.
« Fils de... ! » lui dit-il avec plus de mépris que de colère.
L'enfant lui jeta la pièce d'argent qu'il en avait reçue, sentant qu'il avait cessé de la mériter; mais le proscrit n'eut pas l'air de faire attention à ce mouvement. Il dit avec beaucoup de sang-froid à l'adjudant:
« Mon cher Gamba, je ne puis marcher; vous allez être obligé de me porter à la ville.
- Tu courais tout à l'heure plus vite qu'un chevreuil, repartit le cruel vainqueur; mais sois tranquille: je suis si content de te tenir, que je te porterais une lieue sur mon dos sans être fatigué. Au reste, mon camarade, nous allons te faire une litière avec des branches et ta capote; et à la ferme de Crespoli nous trouverons des chevaux.
- Bien, dit le prisonnier; vous mettrez aussi un peu de paille sur votre litière, pour que je sois plus commodément.
SUITE ET FIN DEMAIN