Samedi 25 octobre 1919

Je remets en doute mon avenir dans la Marine. Deux ans de boîte et de maths sont rédhibitoires. Je réussirais tellement mieux dans n‘importe quelle autre carrière pourvu qu'elle ne soit pas scientifique ! Enfin, la vie à la campagne me manque trop, sa simplicité, sa vitalité partout repérable, et cette largesse d'horizons dont Paris m'ampute. Mon imagination se représente en particulier les flambées de sapin dans les cheminées à cette époque de froidure où nul calorifère ne chauffe encore et la mémoire de mes sens réveille d'enivrantes sensations familières. Ah ! mon beau château campagnard…

Dimanche 26 octobre 1919

Journée froide, pluvieuse, interminable. Ce matin, première anicroche : je cherche en vain du lait concentré pour mon petit déjeuner ainsi qu'une bouillotte pour me préparer de l'eau chaude. Impossible de trouver le moindre ingrédient dans l'office que la bonne n'a pas laissé dans un état irréprochable. J'avise Reine, nous avons une conversation aigre-douce pleine de sous-entendus hypocrites de sa part. Elle finit par lâcher que c'est bien elle qui a rangé le lait concentré car j'en avais volé la veille sans sa permission. C'est un comble ! Je n'ai plus le temps de négocier le moindre armistice avec cette péronnelle et, furieux, je suis obligé de me précipiter jusqu'à Stan, courant dans les couloirs interminables de St Lazare, épreuve toujours éreintante dans cette atmosphère froide et empuantie.

Grand-messe ordinaire avec un sermon assez crû du Poto sur le thème : « L'instinct que Dieu a mis en nous pour la reproduction de l'espèce humaine. » Certains de mes condisciples ont ricané ou avaient un petit sourire en coin. Je suis, moi, resté de glace, vaguement gêné. Cette perspective peu attrayante n'a soulevé en moi qu'un haut le cœur dans un océan d'ennui. Je me sens bien loin de « ce vaste et noble dessein », pas concerné, exilé de mon propre corps. A quoi bon procréer pour reproduire l'ennui ?

Après déjeuner, je comptais aller visiter les Arts et Métiers mais je n'en suis resté qu'à l'intention… Pas de courage, pas de vraie motivation. J'ai préféré lâchement m'exercer au tango chez les D***, d'abord dans le vestibule puis dans leur appartement transformé en salon de danse. Ce fut plaisant mais par trop mécanique. Vite lassé, je suis rentré boulevard Pereire où je me suis cassé le nez sur toute la smala des M***, les cousins en renfort et aussi l'oncle Léon. J'ai dû subir sa voix tonitruante et ses plaisanteries sur « notre grand Amiral ». A un moment, excédé – alors qu'en général, je les adore – j'ai eu à me battre contre ces moustiques de gosses, si excédé et si impuissant contre cette nuée que je fus soudain amené à donner une gifle à Arthur. La nouvelle guerre mondiale était déclarée ! Que de cris, de larmes, à mon avis simulées, tandis que, dans ce charivari, entre les hurlements du mioche et les demandes d'explications des parents, je ne parvenais même pas à placer un mot ni à engager une conversation avec Claudine. La famille est vraiment une punition !

Profitant d'un moment de répit, après avoir dû embrasser le maudit neveu et subir sa morve repentante, j'ai réussi à filer avec les filles jusqu'au fond de l'appartement Hélène et Béa tenaient le piano à tour de rôle, tandis que Claudine dansait avec moi. Elle se donnait un mal fou, avec beaucoup de bonne volonté, d'autant plus qu'elle ne possède pas, je pense, malgré sa sveltesse si féminine et une cambrure de bon aloi, le moindre sens du rythme. Il n'empêche, c'était charmant et si valorisant pour moi : en juillet dernier, pareille soirée m'aurait rendu fou ! Claudine a daigné ensuite, d'abord seule puis à quatre mains avec Béa, exécuter des morceaux de piano. Serrées l'une contre l'autre sur la banquette, elles ont ri comme des folles en interprétant « Sur un marché Persan », avec force clins d'œils et déhanchements provocateurs dans ma direction. Voulaient-elles m'aguicher ?J'ai préféré m'absorber dans cette musique si typique, si colorée, même si je préfère de beaucoup la version pour orchestre. Et mon Frantz évidemment… Puis Hélène a interprété en solo, avec beaucoup d'âme, quelques pages de Grieg. J'en étais tout ému, me rappelant Montclairgeau, sentant ma gorge se nouer et approcher ce spasme que je redoute tant (si peu digne du grand Amiral !). Ce n'était pas la mer qui roulait sous les doigts de la pianiste experte mais bien le matin, ces matinées d'octobre 1918 encore si radieuses auxquelles je songeais avec douceur…

Puis, les filles s'enfermèrent dans le cabinet pour faire des essayages. Béa avait fait la veille des emplettes à la Samaritaine. Il paraît que c'est une mode toute nouvelle qui ne concerne qu'elles, qu'un garçon aussi sérieux que moi les trouverait forcément indécentes, etc. Je restai assis à côté du piano, pensif, un peu dépité. Bien sûr, on aime ma compagnie, on apprécie mes qualités de danseur, mais je sens malgré tout combien j'ai peu de moyens de plaire, physiquement ou par l'esprit. Je pourrais dire des choses étincelantes, je suis sans doute capable moi aussi d'éprouver des sensations troublantes, j'aimerais tant que mes mots et mes gestes attestent le moindre émoi naissant, mais aussitôt, je me sens comme bègue et grotesque. Lorsque je suis très troublé ou fâché, j'ai toujours ce geste de hausser les épaules et les demoiselles doivent me prendre pour un mufle ou un blasé. Alors, elles pouffent bêtement ! Il faudra à tout prix que je me débarrasse de ce tic idiot qui me joue de sales tours en douce compagnie. Ce soir, quand Claudine est partie, au lieu d'un sentiment de plaisir, il ne m'est resté qu'un peu de trouble, ou plutôt de regret, et surtout un fort mécontentement contre moi-même : je me suis diverti imprudemment pendant deux heures d'affilée, sans récolter le moindre accessit à mon palmarès sentimental alors qu'un énorme travail de physique m'attend pour ce soir.

Lundi 27 octobre 1919

J'ai encore réussi à me tirer d'affaire hier soir en veillant jusqu'à 11 heures trente, luttant contre le sommeil qui parfois l'emportait et me laissait titubant, la tête lourde et congestionnée. Cet acharnement au travail m'a été néanmoins bénéfique puisque ce matin je suis parti à Stan avec une relative égalité d'âme. Froid glacial qui promettait un temps clair alors que la journée a été sombre et pluvieuse jusqu'au soir. J'ai dû subir trois heures de maths. De grosses difficultés de concentration : je ne pouvais m'empêcher de songer à mon avenir, bien hypothétique si je renonce à la Marine. Je crois que ce problème est insoluble.

J'ai suivi après midi une bonne leçon d'escrime plutôt épuisante, toujours les premiers éléments de tenue et de mise en garde. Après la classe, à cinq heures, une séance de gymnastique m'a tonifié les muscles des bras et du dos. Le maniement des haltères me procure un sentiment étrange de jouissance et de puissance, le tout dans la concentration la plus aiguë que je ne peux prolonger hélas plus d'un quart d'heure tant l'effort est intense. J'ai terminé enfin par quelques exercices de saut et de cordes lisses. Quel réconfort que l'exercice physique ! Si nous en avions la possibilité ici, c'est chaque jour que je m'éterniserais au gymnase : je m'y sens léger, harmonieux, concentré, muscles bandés, endurance infaillible, presque invulnérable. Je savoure mes efforts dont j'entrevois enfin des résultats tangibles. Bref, je vis !

Mardi 28 octobre 1919

Le poêle est enfin allumé en salle d'étude, mais il sent mauvais. Partout ailleurs, le chauffage central fonctionne mais il vous fait monter le sang à la tête. Récréation interminable, effroyable d'ennui, avec des bousculades, des grossièretés et un ruissellement d'eau partout. Plus tard, en classe, mal de gorge. Je suis transi physiquement et moralement. Quand mon bagne finira-t-il et serai-je relaxé ? Ne suis-je pas innocent, trop vulnérable pour être coupable ? La simple pensée de l'épure à tracer demain – et dont je connais par avance le résultat – rameute en moi des cohortes d'idées sinistres.

Mercredi 29 octobre 1919

Ce matin, réveil pénible. Toujours ce maudit mal de gorge, avec le visage congestionné, le corps pesant et courbatu. Dehors, à six heures et demi, il ne faisait pas encore jour et lorsque la lumière se fit, ce fut pour éclairer une matinée lamentable, noyée de neige fondue. Je hais le froid.

A Stan, mon épure m'attendait. Je m'y attelai avec l'état d'âme d'un forçat. Dans l'état de santé où j'étais, mon supplice habituel redoubla. J'exécutai assez bien la première partie mais n'eus pas le temps de la repasser à l'encre. Si jamais j'acquiers un peu de bonheur plus tard – chose bien improbable avec mon tempérament tourmenté – je pourrai dire que je l'ai par avance acheté avec ces heures de souffrance-là et que cette félicité m'était due.

La récréation, sous une pluie indécise et glaciale, avec de folles rafales, a été heureusement coupée par la leçon d'escrime. J'ai fait un pas de plus dans la science des armes car j'ai aujourd'hui appris à planter mon fleuret dans le plastron rembourré du maître d'armes et à donner de petits coups secs à mon adversaire, comme pour le tester. J'ai aussi appris, sans trop de peine, à passer de la garde en sixte à la garde en quarte. Quel noble art !

Arrivé à la maison vers 8 heures passées (après avoir employé mon étude du soir à préparer la colle de maths), une lettre postée à Montclairgeau m'attendait. Magnifique coïncidence : Cécile m'annonce qu'on a acheté à une vente de charité, pour 35 francs seulement, tout l'attirail nécessaire pour que je puisse faire de l'escrime. Ce n'est que justice ! « J'ai revu Denise, m'écrit-elle aussi, depuis ma dernière lettre, mais juste deux fois. Comme Lolo de Catelin est rentrée à Paris, je ne vais plus faire de tennis à Persanges. Il paraît aussi qu'un certain Dady, vague cousin de Lolo, toujours par monts et par vaux, projette de passer te voir avant Noël puisqu'il vit de nouveau en France. Tu vas me trouver trop curieuse, une fois de plus. Mais pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé ? Il est mignon, paraît-il, mais un peu trop mystérieux et d'une timidité maladive… »
Oui, il est charmant et gauche, mais c'est mon secret.


A suivre


!!!!!DERNIER JOUR!!!!!DERNIER JOUR!!!!!DERNIER

Prix du livre en souscription : 26,00 EUROS
(expédition gratuite pour la France métropolitaine)
(Prix de vente public ensuite : 30,00 €)
Pour tout autre pays, ajouter 12 euros de port et d'emballage
[soit un total de 38 euros par exemplaire commandé]

BON DE RÉSERVATION À IMPRIMER ET À EXPÉDIER
AVANT LE 15 NOVEMBRE 2008

- - - -- - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Je soussigné(e)

Merci d'écrire en lettres capitales très lisibles !
Par précaution, veuillez inscrire votre adresse au dos de l'enveloppe.


Nom :…………………………………….Prénom :………………………………...
Adresse : …………………………………………………………………………….
………………………………………………………………………………………
………………………………………………………………………………………
Adresse électronique (facultative) :………..………………………@………………………

souhaite que me soi(en)t envoyé(s) dès parution à l'adresse personnelle ci-dessus indiquée ………exemplaire(s) dédicacé(s) du livre en souscription et je joins au talon réponse un chèque de…………… € libellé à l'ordre de Michel BELLIN.

J'envoie le tout par pli dûment affranchi à :

MICHEL BELLIN
Souscription
POSTE RESTANTE
12, place Silly
92210 ST CLOUD
France



MON CADEAU !


16 illustrations rares (photos, autographes, fac-similés…)


que je souhaite recevoir avec ma commande (je coche mon choix) :

□ Sur support CD-R (illustrations en couleurs et en noir & blanc)
□ Sur support PAPIER (illustrations monochromes dans un élégant livret)

Fait à………………………… le…………………..

Signature :


BON DE RÉSERVATION ET RÈGLEMENT (exclusivement par chèque)
À RETOURNER AVANT LE 15 NOVEMBRE 2008
(le cachet de la Poste faisant foi)
À L'ADRESSE CI-DESSUS MENTIONNÉE.