IL EST UNE LIQUEUR…
Par Michel Bellin le lundi 30 juin 2008, 08:44 - Lien permanent
Et toi, ami(e) internaute, combien en prends-tu chaque jour ? Une, deux, trois tasses ? Davantage ? Moi, je ne résiste guère, dès le réveil et même le soir (imprudence souvent fatale !) car j'approuve le poète : très vite opère la métamorphose. Mon idée était triste, aride, dépouillée… elle rit, elle sort richement habillée, d'ébène et d'or évidemment. Comme à cet instant, lorsque je tape ces lignes, dans un parfum entêtant de pur Arabica de Colombie.
Il est une liqueur, au poète plus chère,
Qui manquait à Virgile et qu'adorait Voltaire :
C'est toi, divin café, dont l'aimable liqueur
Sans altérer la tête épanouit le cœur.
Aussi, quand mon palais est émoussé par l'âge,
Avec plaisir encor je goûte ton breuvage.
Que j'aime à préparer ton nectar précieux !
Nul n'usurpe chez moi ce soin délicieux.
Sur le réchaud brûlant, moi seul, tournant ta graine,
À l'or de ta couleur fais succéder l'ébène ;
Moi seul contre la noix, qu'arment ses dents de fer,
Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer ;
Charmé de ton parfum, c'est moi seul qui, dans l'onde,
Infuse à mon foyer ta poussière féconde,
Qui, tour à tour calmant, excitant tes bouillons,
Suis d'un œil attentif tes légers tourbillons.
Enfin, de ta liqueur lentement reposée,
Dans le vase fumant la lie est déposée ;
Ma coupe, ton nectar, le miel américain,
Que du suc des roseaux exprima l'Africain,
Tout est prêt : du Japon l'émail reçoit tes ondes,
Et seul tu réunis les tributs des deux mondes :
Viens donc, divin nectar, viens donc, inspire-moi.
Je ne veux qu'un désert, mon Antigone et toi.
À peine j'ai senti ta vapeur odorante,
Soudain de ton climat la chaleur pénétrante
Réveille tous mes sens ; sans trouble, sans chaos,
Mes pensers plus nombreux accourent à grands flots.
Mon idée était triste, aride, dépouillée ;
Elle rit, elle sort richement habillée,
Et je crois, du génie éprouvant le réveil,
Boire dans chaque goutte un rayon de soleil.
Jacques DELILLE
Les Trois Règnes de la nature
Jacques Delille (1738-1813), dit l'abbé Delille, fut professeur de lettres classiques. Eminent traducteur de Virgile, il publia, en 1780, un long poème didactique qui connut un immense succès : les jardins ou l'art d'embellir les paysages.
4 citations pour accompagner vos cafés d'aujourd'hui :
«Le bonheur le plus doux est celui qu'on partage.»
«Qui borne ses désirs est toujours assez riche.»
«D'où vient des nuits d'été la lenteur paresseuse...»
«Le sort fait les parents, le choix fait les amis.»
[ Jacques Delille ] - Malheur et pitié