(...)

« L'orage éclate. Enfin ! Raphaël s'est effondré, affalé sur le drap comme une gerbe fauchée. L'ange sanglote à perdre haleine. De gros hoquets désespérés. Il a noué ses mains sous l'un des oreillers, tête enfouie, mèches éparses, les épaules secouées de spasmes. Dans le silence de la pièce, son chagrin est assourdissant. Cette violence a pris Julius au dépourvu. Il n'avait pas prévu la crise, tout à son plan machiavélique. Il n'avait rien vu venir. Qu'avait-il compris du trouble de l'enfant ? De sa solitude ? De son effroi ? De son attachement ? Pauvre Julius, toujours autocentré. Et que peux-tu bien faire à présent ? Le secouer ? Impossible, trop plein de larmes… Julius se contente de murmurer : « Raph, Raph, ce n'est rien… je t'assure… »

- Ne me laisse pas, Julius, me quitte pas… Tu m'as vraiment pris pour un crétin … Tu crois que je sais pas ? Tu crois que j'ai pas deviné ? T'as pas le droit… je t'en prie…

Ah ! Ce regard accompagnant le cri. Des feux de fureur. Des yeux de mendiance. Tout près des siens maintenant qu'il a relevé la tête. Visage cramoisi. Joues inondées. Mots qui s'entrechoquent. Source intarissable… Julius a baissé les paupières. De honte? Pour s'enfuir plus vite ? Non, par communion… Être là, intensément, mais déjà absent. Juste un frôlement…. Sa main prend le relais. Il ne peut que caresser la nuque brûlante. Sans verbiage. Le pacte du silence. Plus que deux corps livrés. Une peau choyant une autre peau. Comme avec Martyn quand, au réveil, il palpait sa présence. Dans la main de Julius, le sexe reprenait vie. C'était l'aurore, c'était la vie, autrefois, il y a très longtemps. C'est toujours aujourd'hui. La vie n'a pas d'âge. Maintenant, c'est le soir. À la mi-septembre. La seule eucharistie viable. Ceci est mon Corps, prends et rassasie-toi. Ceci est mon sang versé, prends et enivre-toi.

Et sous les doigts malhabiles, tavelés, perclus de tendresse, la nuque juvénile fléchit et s'assouplit. Leur alliance est scellée. Tout se réconcilie…Julius ferme les yeux. Comme jadis devant la sainte table. C'était la Semaine Sainte, dans toutes les églises. Des montagnes de lys et des flammes ardentes. Au cœur des ostensoirs, un vide coruscant. Hoc est Corpus… Mais nulle chair alors, seul le Verbe. On adorait, on s'inclinait, on se gavait d'absence. La consigne était stricte à l'approche de l'autel : ne pas fixer le célébrant, ne pas égratigner l'hostie, laisser fondre Jésus. Christ-guimauve. Bel ange eucharistié, ô Raph, suspends ton vol ! Encens, pivoines, Ave chuchotés, néant transfiguré, reposoirs d'antan…quand la croyance moussait au pied des tabernacles, quand il était petit, docile, extasié. In illo tempore.

Sursaut. Julius s'était-il à nouveau assoupi ? Sans doute, quelques minutes. Mais il n'est pas encore temps, pas tout à fait… La chambre est silencieuse. L'immeuble paisible. Julius s'étonne que Raphaël n'ait pas remplacé le disque pour choisir sa musique. A chacun son tour, c'était leur habitude. Avant… Le vieil homme s'est penché sur le côté. Mystère de la Nativité : le divin enfant dort. Une roseur béate. Plus la moindre ravine sur son visage lisse. Le souffle est régulier. Son flanc monte et s'abaisse. Julius a remonté le drap jusqu'à l'épaule nue. Chut !

C'est le moment. Chaque rôle est tenu. Chaque chose à sa place. Surtout ne pas mollir, ne pas s'attendrir. Tout serait à reprendre… Vite et bien. Vite fait, bien fait. « Ce que tu as à faire, fais-le vite. » Parole à l'Iscariote, selon l'évangéliste au chapitre treizième.

Julius ceint les écouteurs. Il appuie sur Play. A tâtons, il cherche son viatique sous l'oreiller. Déjà les cordes s'embrasent… Il décapsule soigneusement la fiole. Tremble-t-il ? A peine, peut-être d'impatience. Il a tant convoité cet instant.
L'instant-éternité. Il a pris la main du dormeur. Elle est tiède et molle. De l'autre, il porte à sa bouche. Il avale d'un trait. (Robert a forcé la dose au cas où…) Malgré l'amertume, Julius se sent immédiatement soulagé. Réconcilié. Comblé : contre son flanc, un ange dort, lové. Et une voix de femme les berce, sa divine Gundula.

Tout ouïe, le regard affûté, Julius sonde la nuit qui pénètre ses os.

La nuit. Le froid. Sa liberté !

Wir sind durch Not und Freude...

gegangen Hand in Hand,

vom Wandem

uhen wir...


überm stillen Land.


Rings s ch die Täler n gen,



es dun



on die Luft,




zwei Le en n r noch steigen




rä end



den Duft.





Tritt her a






uns nicht






Einsamkeit“



Dernières pages du MESSAGER, de Michel Bellin aux Editions H&O