L’ENNUI QUI JOUIT
Par Michel Bellin le jeudi 28 février 2008, 09:10 - Lien permanent
Voilà pourquoi j'aime tant la musique - en créer et en écouter. Un apprentissage savoureux de la durée. Un désamorçage de l'ennui. C'est aussi limpide et aussi complexe que cela ! Et je trouve que Nietzsche a décidément encore raison lorsqu'il écrit : « L'on devient plus philosophe à mesure qu'on devient plus musicien. » Car qui apprivoise le Temps se réconcilie avec la vie… et la mort au quotidien.
« L'attente, telle est la seule expérience que le temps nous donne de lui-même. La durée est une résistance. Le temps est ce qui dure, ce qu'on endure, l'éloignement entre la proie et les mâchoires, entre l'affût et la prédation, désirer et jouir. L'enfant – qui sait la vérité, à proportion qu'il n'est pas acquis à la parole, à la résignation, à la perte, à la mélancolie – ne sait pas endurer le délai. Telle est aussi une part de l'objet de la musique : endurer le délai. Construire du temps à peu près non frustrant, éprouver la consistance du temps et peu à peu y infiltrer de l'avant et de l'après, du retour et du à-venir, de l'est et de l'ouest, du soprano et de l'aggravé, du rapide et du lent ; tenir les rênes de la frustration, maîtriser la carence immédiate, jouer avec l'impatience. (…) Ecouter l'attente avec beaucoup d'attention. Ecouter attentivement de la musique. C'est faire d'un moment de temps-long une faveur du sort. C'est se divertir du temps par une espèce d'attente de lui. C'est de l'ennui qui jouit. »
Pascal Quignard, La leçon de musique, Hachette, 1994