Je ne fréquente plus les bistrots. Un café sans clope, c'est trop violent. Je ne suis pas le seul puisque le président des cafetiers commence à se lamenter : « Il y a moins 20% de clients au comptoir des bars-tabac. Les femmes enceintes et leurs enfants, les sportifs et les personnes âgées ne sont pas encore revenus dans nos établissements. » Imaginez qu'ils reviennent, ces clients. Accoudé au zinc, vous avalez un lait fraise entre un marmot, un lanceur de marteau et un centenaire qui se détruit au Coca : adios les brèves de comptoir, adios cher Jean Carmet, la Gauloise et le p'tit blanc, au revoir M. Doisneau, à la revoyure M. Prévert, finis les bistrots où on rafistolait le monde au sancerre et à la fumée. Les bistrots vont être livrés aux tristes. Adieu, Paris.

Patrick Rambaud, dans Libération des 23/24 février 2008 (w.e.monjournal)

P. Rambaud est écrivain. Il a obtenu le grand prix du roman de l'Académie française et le prix Goncourt pour La Bataille.