21 – CONTRE LA CONSTIPATION

Le constipé est quelqu'un qui oublie de siéger quotidiennement dans les lieux où s'opère en la personne un dédoublement si banal qu'on en oublie qu'il est remarquable.
En effet, pendant que le cerveau se laisse envahir par des méditations diverses – ou bien lit L'Equipe – ses antipodes, avec une lenteur de dérive des continents, préparent des charges parfois explosives.
Celles-ci sont lâchées dans un environnement sonore et olfactif qui évoque plutôt une attaque des Huns, ahanant aux champs Catalauniques, que les gracieuses évolutions de l'Otan en altitude.
Si vous êtes constipé(e), c'est que vous le méritez. Vous n'avez pas compris qu'il ne faut en aucun cas vous occuper de ce qui ne vous regarde pas, c'est-à-dire de l'œil cyclopéen, ridé du souci de bien faire et tapi dans la vallée de l'ombre.Mi-clos, abîmé dans les délices d'une attente raisonnable, il possède la patience du veilleur solitaire. Ce qu'il attend se tortille avec des timidités de pucelle, avant de paraître au jour.
Alors, forcément, si vous jouez l'effaroucheur en conservant l'esprit de la sentinelle, les timidités de pucelle feront demi-tour.Au contraire, occupez votre pensée, choisissez une lecture dense, abondante, interminable, emphatique et répétitive. Vous trouverez tout cela dans certaines œuvres poétiques de Charles Péguy.
Lisez-les jusqu'à ce que vous sentiez que la situation se débloque. Il a été constaté que cela demande finalement peu de temps : l'organisme mobiliserait toutes ses forces pour éviter au mental une indigestion de quatrains qui peut déboucher sur une constipation intellectuelle irrémédiable.
Voici donc le début de ce qui vous conduira à une prompte libération.

QUATRAINS

Cœur dur comme une tour,
Ô cœur de pierre,
Donjon de jour en jour
Vêtu de lierre.

De tous liens lié
À cette terre,
Ô cœur humilié,
Cœur solitaire.

Cœur qui as tant crevé
De pleurs secrets,
Buveur inabreuvé,
Cendre et regrets.

Cœur tant de fois baigné
Dans la lumière
Et tant de fois noyé
Source première.

Ô cœur laissé pour mort
Dans le fossé,
Cœur tu battais encore
Ô trépassé…

Charles PEGUY

Etc. pendant des pages et des pages, 1 413 quatrains en tout !

Notre conseil : Ne lisez pas à voix haute ces quatrains car, vous entendant, et ressentant alors une certaine urgence, les membres de votre entourage vous demanderont de libérer sans attendre la place que vous occupez.

Chronique signée J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001