22 – CONTRE LE STRESS PRÉOPÉRATOIRE

Vous allez subir une intervention chirurgicale. C'est la première fois, ou la dixième, peu importe. L'inquiétude vous gagne car vous savez que l'anesthésie rôde.
Dès qu'il aura planté dans votre perfusion son crochet venimeux, votre conscience chargera en hâte dans son petit sac à dos votre âme, vos rêves, vos soucis, le découvert bancaire qui vous tracasse, et elle ira s'installer pour une heure ou deux dans le silence éternel des espaces infinis au moyen duquel ces Messieurs de Port-Royal ont tant effrayé le petit Blaise. Bref, vous serez dans le coaltar.
À votre réveil, tout se remettra en place progressivement : votre âme, un peu cabossée par les comètes, un peu plus tordue qu'avant, vos rêves, tout fripés, vos soucis, et votre découvert bancaire qui se sera encore creusé du prix de l'opération.Et puis le chirurgien viendra vous voir. Un homme affable, à la voix sûre. Il vous raconte ce qu'il vous a fait et vous dit que tout va pour le mieux ; mais vous sentez bien, vous, qu'il ne dit pas la vérité, qu'il vous cache l'essentiel, et dans le petit sourire qu'il vous adresse en fermant la porte de la chambre, vous croyez décoder quelque chose de malsain que vous tentez de traduire, et vous obtenez cette phrase ahurissante : « Ah ! qu'est-ce qu'on a pu se marrer tout à l'heure avec vous sur le billard ! »
Eh bien oui ! Il faut le révéler aujourd'hui : l'équipe chirurgicale, parfois s'amuse bien avec le patient, se bâtit une sorte de mise en scène dramatique, parfaitement décrite par Henri Michaux qui en fit un poème. Sa lecture vous permet de vous endormir en toute connaissance de cause et de ne plus être dupe des chirurgiens farceurs.

LE GRAND COMBAT

Il l'emparouille et l'endosque contre terre ;
Il le rague et le roupète jusqu'à son drâle ;
Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouaillais ;
Il le tocarde et le marmine,
Le manage rape à ri et ripe à ra.
Enfin, il l'écorcobalisse.
L'autre hésite, s'espudrine, se défaisse, se torse et se ruine.
C'en sera bientôt fini de lui ;
Il se reprise et s'emmargine… mais en vain
Le cerceau tombe qui a tant roulé.
Abrah ! Abrah ! Abrah !
Le pied a failli !
Le bras a cassé
Le sang a coulé !
Fouille, fouille, fouille,
Dans la marmite de son ventre est un grand secret
Mégères alentour qui pleurez dans vos mouchoirs ;
On s'étonne, on s'étonne, on s'étonne
Et vous regarde
On cherche aussi, nous autres, le Grand Secret.

Henri Michaux


Notre conseil : lisez avec votre chirurgien, avant l'opération, ce programme de Michaux. Vous déciderez ensemble de ce qui pourrait être ajouté, ou évité. Le roupètage et le pratèlage par exemple, ne laissent pas de traces. En revanche, se faire systématiquement barufler les ouillais peut, à la longue, rendre sourd.

Chronique signée J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001