CURE DE POÉSIETHÉRAPIE (10ème leçon)
Par Michel Bellin le vendredi 12 octobre 2007, 07:49 - Lien permanent
Depuis le 3 août dernier, avant chaque week-end et pour une quarantaine de rendez-vous hebdomadaires (si Pouet-Pouet me prête vie !) je propose à mes aficionados une cure de POÉSIETHÉRAPIE selon les recettes éprouvées de Jean-Joseph JULAUD. Un expert ! De quoi aller mieux tout en découvrant ou redécouvrant les plus belles pages de notre Littérature, émollientes ou roboratives suivant le cas. L'idéal – outre les bienfaits pour le mal concerné (migraine, mélancolie, éjaculation précoce, coliques néphrétiques, constipation, insomnie… mal d'amour !), serait d'apprendre par cœur chaque texte puisque la mémoire est un muscle bien trop négligé.
Aujourd'hui, une parade au spleen qui vous tombe toujours dessus sans crier gare été comme hiver ; il semblerait que le début de l'automne soit propice à la mélancolie, non ?
Aujourd'hui, une parade au spleen qui vous tombe toujours dessus sans crier gare été comme hiver ; il semblerait que le début de l'automne soit propice à la mélancolie, non ?
10 – CONTRE LA TRISTESSE
Un poète, en général, c'est triste. Sur les portraits, ça tire une tête lugubre, ça se donne des airs exprès pour faire peur aux enfants, pour inquiéter les gens.
Ça prend la pose, ça fait semblant de penser à des choses supérieures, de s'en aller vers des lieux étrangers, des monts mystérieux où tient boutique un marchand de secrets.
Ça redescend sur terre, l'air distrait, préoccupé, avec deux ou trois mystères en solde dans les poches : « Si je n'écris ce que je sais, la Terre va-t-elle tourner encore ? »
Mais parfois, un poète, c'est plus proche des gens, ça écrit des choses qu'on comprend. Alors on se sent intelligent. On a de l'estime pour soi, et pour lui.
Ça devient un ami, quelqu'un de nulle part, rangé dans le hasard entre deux volumes. Et le soir, quand les petites tristesses s'allument ça et là dans l'inquiétude d'être, on promène sur les rayons de la bibliothèque une main flottante.
Tiens, voilà Francis Jammes. J'ouvre sa porte. Un village, des enfants, des fleurs de toutes sortes, et des ânes gentils occupent sa maison. Des flammes comme une onde dessinent au plafond l'indécis, entre le rêve et le souci.
Je m'avance, j'entre dans une pièce, et je dis : « Je viens pour ma tristesse. »
Alors, au fond de moi, pendant que je lis, la voix de Francis Jammes qui est au paradis, me parle de la neige et d'un grand feu de bois, d'une pite à bout d'ambre.
C'est peut-être décembre, ou juin, ou quelque mois sans nom. Il y a dans les mots comme des flocons. Il y a des étoiles. Et tout cela s'anime dans l'âme blessée, et c'est comme une douce averse dans la pensée.
Lisez « Il va neiger ». Lisez-le lentement. La ligne prend son temps pour descendre la page. Votre tristesse passe entre les images… s'enfuit.
Passez une bonne nuit.
ILA VA NEIGER…
Il va neiger dans quelques jours. Je me souviens
de l'an dernier. Je me souviens de mes tristesses
au coin du feu. Si l'on m'avait demandé : qu'est-ce ?
J'aurais dit : laissez-moi tranquille. Ce n'est rien.
J'ai bien réfléchi, l'année avant, dans ma chambre,
pendant que la neige lourde tombait dehors.
J'ai réfléchi pour rien. A présent, comme alors
je fume une pipe de bois avec un bout d'ambre.
Ma vieille commode en chêne sent toujours bon.
Mais moi j'étais bête parce que ces choses
ne pouvaient pas changer et que c'est une pose
de vouloir chasser les choses que nous savons.
Pourquoi donc pensons-nous et parlons-nous ? C'est drôle ;
nos larmes et nos baisers, eux, ne parlent pas
et cependant nous les comprenons, et les pas
d'un ami sont plus doux que de douces paroles.
On a baptisé les étoiles sans penser
qu'elles n'avaient pas besoin de nom, et les nombres
qui prouvent que les belles comètes dans l'ombre
Passeront, ne les forceront pas à passer.
Et maintenant même, où sont mes vieilles tristesses
de l'an dernier ? A peine si je m'en souviens.
Je dirais : laissez-moi tranquille, ce n'est rien,
si dans ma chambre on venait me demander : qu'est-ce ?
Francis JAMMES
Notre conseil : En lisant le poème tout entier, vous avez remarqué ceci de singulier : « Mais moi j'étais bête… » A vous de décider s'il faut croire les poètes.
Chronique signée J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001