3 – CONTRE L'INFARCTUS DU MYOCARDE

Jamais ou presque on ne parle de lui, jamais on ne le remercie. Sa tâche nuit et jour, sans repos et sans trêve, s'égrène par coups sourds. Il va et vient dans sa petite loge, il a l'obstination de l'horloge, interminablement. De qui s'agit-il ? Du myocarde, de « cardia » en grec : cœur, et « mus » : muscle.
Guetté par l'ischémie, de « iskhein » en grec : arrêter, et « haima » : sang, il capitule parfois, prenant dans un étau de douleur la poitrine aux abois : c'est l'infarctus, de « in » en latin : dans, et « farcire » : remplir de farce.
Méfiez-vous donc, lorsque vous êtes farci de soucis, de problèmes, de tracas, le mauvais sang secrète des acides gras, les artères se bouchent. Le myocarde pompe, pompe à tour de bras, mais bientôt plus rien ne vient. Alors, il ferme ses oreillettes, vide ses ventricules. Ca barde pour votre matricule !
Avant la situation extrême, sachez vous arrêter, prenez le temps de lui parler, soutenez-le, encouragez-le. Vers 14 heures, par exemple sous un tilleul et sur un banc public, tout seul arrêtez-vous. Ne l'entendez-vous pas qui s'inquiète de tout ? Calmez-le. Et si vous êtes dans le jardin du Luxembourg, à l'extrémité de la rue de Fleurus, prenez à gauche, Verlaine est là sur son socle. Asseyez-vous. Rien ne presse. L'angoisse qui vous cherche s'est trompée d'adresse. Dépliez doucement le vélin sépia où vous avez copié « Nevermore » (selon notre conseil indiqué ci-dessous). Lisez à haute voix, sans hâte. Et que votre émotion ait la lenteur du pas. Et que votre regard ne recherche plus l'heure. N'est-ce pas qu'il est bon de parler à son cœur ?

Notre conseil : Afin qu'il n'y ait pas d'équivoque sur le destinataire, le cœur physique, vous pouvez remplacer une fois sur deux « mon pauvre cœur » par « mon myocarde » ; évitez alors de regarder la statue de Verlaine. Il est recommandé de recopier ce poème sur un vélin sépia, c'est chic, et ça évite de transporter tout le recueil.


NEVERMORE

Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice,
Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux ;
Brûle un encens ranci sur tes autels d'or faux ;
Sème de fleurs les bords béants du précipice ;
Allons, mon pauvre cœur, allons, mon vieux complice.

Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni ;
Entonne, orgue enroué, des Te Deum splendides ;
Vieillard prématuré, mets du fard sur tes rides ;
Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni ;
Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni.

Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches !
Car mon rêve impossible a pris corps, et je l'ai
Entre mes bras pressé : le Bonheur, cet ailé
Voyageur qui de l'Homme évite les approches,
- Sonnez, grelots ; sonnez clochettes ; sonnez, cloches !

Le Bonheur a marché côte à côte avec moi
Mais la Fatalité ne connaît point de trêve :
Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve,
Et le remords est dans l'amour : telle est la loi.
- Le Bonheur a marché côte à côte avec moi.


Paul VERLAINE

Chronique signée J.-J J.
alias Jean-Joseph Julaud, Ça ne va pas ? Manuel de poésiethérapie, le cherche midi éditeur, 2001