Charles, Odilon, Antoine, Paul et les autres
Par Michel Bellin le mardi 3 juillet 2007, 09:26 - Lien permanent
Il rêvait d'une poésie « soluble dans l'air », capable d'établir une correspondance entre les sentiments et les sensations…
Corps de femmes, corps de garçons tant rêvés, tant aimés, dont chaque versant, chaque pli indique un chemin à explorer, un paysage à découvrir… Ici, le désir coule entre les lignes. Il a tantôt la grâce d'une rivière paresseuse, tantôt la rage d'un torrent tumultueux. Il se fait ange ou démon. Serein ou tourmenté. Enfer brûlant ou paradis perdu… Etreinte et Eternité ne sont-ils pas deux mots s'écrivant avec les mêmes lettres ?
Une méditation idéale pour le temps des vacances, ô mon lecteur chéri (ma lectrice aussi !) - gisant alangui sur le sable chaud ou retiré dans ta chambre aux songes moites… Pour cet été, je garantis ici quelques pépites non soldées… puisque les mots sont parfois plus ensorceleurs que les vidéos, non ?
Corps de femmes, corps de garçons tant rêvés, tant aimés, dont chaque versant, chaque pli indique un chemin à explorer, un paysage à découvrir… Ici, le désir coule entre les lignes. Il a tantôt la grâce d'une rivière paresseuse, tantôt la rage d'un torrent tumultueux. Il se fait ange ou démon. Serein ou tourmenté. Enfer brûlant ou paradis perdu… Etreinte et Eternité ne sont-ils pas deux mots s'écrivant avec les mêmes lettres ?
Une méditation idéale pour le temps des vacances, ô mon lecteur chéri (ma lectrice aussi !) - gisant alangui sur le sable chaud ou retiré dans ta chambre aux songes moites… Pour cet été, je garantis ici quelques pépites non soldées… puisque les mots sont parfois plus ensorceleurs que les vidéos, non ?
MILLE ET TRE
Mes amants n'appartiennent pas aux classes riches :
Ce sont des ouvriers faubouriens ou ruraux,
Leurs quinze et leurs vingt ans sans apprêts, sont mal chiches
De force assez brutale et de procédés gros.
Je les goûte en habits de travail, cotte et veste ;
Ils ne sentent pas l'ambre et fleurent de santé
Pure et simple ; leur marche un peu lourde, va preste
Pourtant, car jeune, et grave en élasticité ;
Leurs yeux francs et matois crépitent de malice
Cordiale et des mots naïvement rusés
Partent non sans un gai juron qui les épice
De leur bouche bien fraîche aux solides baisers ;
Leur pine vigoureuse et leurs fesses joyeuses
Réjouissent la nuit et ma queue et mon cru ;
Sous la lampe et le petit jour, leurs chairs joyeuses
Ressuscitent mon désir las, jamais vaincu.
Cuisses, âmes, mains, tout mon être pêle-mêle,
Mémoire, pieds, cœur, dos et l'oreille et le nez
Et la fressure, tout gueule une ritournelle,
Et trépigne un chahut dans leurs bras forcenés.
Un chahut, une ritournelle fol et folle
Et plutôt divins qu'infernals, plus infernals
Que divins, à m'y perdre, et j'y nage et j'y vole,
Dans leur sueur et leur haleine, dans ces bals.
Mes deux Charles, l'un jeune tigre aux yeux de chatte
Sorte d'enfant de cœur grandissant en soudard,
L'autre, fier gaillard, bel effronté que n'épate
Que ma pente vertigineuse vers son dard ;
Odilon un gamin mais monté comme un gomme
Ses pieds aiment les miens épris de ses orteils
Mieux encore mais pas plus que de son reste en somme
Adorable drûment, mais ses pieds sans pareils !
Caresseurs, satin frais, délicates phalanges
Sous les plantes autour des chevilles, et sur
La cambrure veineuse et ces baisers étranges
Si doux, de quatre pieds, ayant une âme, sûr !
Antoine, encor, proverbial quant à la queue,
Lui, mon roi triomphal et mon suprême Dieu,
Taraudant tout mon cœur de sa prunelle bleue
Et tout mon cul de son épouvantable épieu.
Paul, un athlète blond aux pectoraux superbes
Poitrine blanche, aux durs boutons sucés ainsi
Que le bon bout ; François, souple comme des gerbes
Ses jambes de danseur, et beau son chibre aussi !
Auguste qui se fait de jour en jour plus mâle
(Il était bien joli quand ça nous arriva)
Jules, un peu putain avec sa beauté pâle.
Henri, me va en leurs conscrits qui, las ! s'en va ;
Et vous tous à la file ou confondus en bande
Ou seuls, vision si nette des jours passés,
Passions du présent, futur qui croît et bande
Chéris sans nombre qui n'êtes jamais assez !
1891
Paul Verlaine, poèmes érotiques, Hombres, Flammarion, coll. Librio, 1998