« Ce n'est pas parce que je suis athée, cher François, (quelque part un « athée fidèle » dirait Comte-Sponville) que je suis devenu insensible et indifférent à Ieschoua qui me fit tant vibrer et à qui, fort naïvement, je voulus consacrer (sacrifier) ma jeunesse, mon temps et mes forces – voire ma sexualité – en entrant dans ce que je croyais être Sa famille et Sa communion. Or, ce n'était qu'une toute petite tribu, avec déjà ses chefs, ses sous-chefs, ses sous-sous-chefs, qui sentait le renfermé et qui m'apparaît aujourd'hui de plus en plus anachronique et anxiogène.
La dernière exhortation de Benoît XVI dont j'ai lu la présentation critique dans plusieurs organes de presse me confirme dans le ressenti d'une rédaction poussiéreuse et d'une réduction frileuse face aux défis ecclésiaux actuels que ne sauraient camoufler des envolées mystiques auxquelles je ne suis ni dupe ni sensible depuis des lustres ! (A part des clercs, quel chrétien de base peut lire et surtout digérer ce genre de galimatias lyricognangnan ?!)
Bien que ne faisant plus partie "officiellement", c'est vrai, de l'Eglise catholique romaine, je suis en effet consterné et inquiet de la tournure des événements. Confirmé hélas dans mes perplexités et mon désenchantement. Me souvenant de tout ce que j'avais lancé en paroisse du temps où j'étais prêtre, de tant de ferveur, d'enthousiasme partagé, d'innovations signifiantes (liturgies festives, concélébration, geste de paix, absolutions collectives, équipe animatrice avec les laïcs, fillettes servant à l'autel, communautés de base paroissiales, accueil des divorcés remariés à l'eucharistie...) je me sens désavoué a posteriori, enterré et banni de "nos" terres une seconde fois. Au moment où je boucle un nouveau manuscrit consacré à Jésus, l'Amour (intact) de toute ma vie, défrichant encore à ma propre stupeur le sillon évangélique que je croyais à jamais refermé en moi, relisant saint Marc et aussi "Matinales" de Jean Sulivan et "La névrose chrétienne" de Pierre Solignac, je me dis : tout ça pour ça !
Je me souviens qu'au moment des années difficiles (fin des années 70 !), face à la crise des vocations, notre monseigneur local nous affirmait benoîtement qu'on "était sur le point de sortir du tunnel". Plus tard, un pape - l'athlète de Dieu - s'écriait : n'ayez pas peur ! Aujourd'hui, un autre pape, par son intransigeance cauteleuse et son fondamentalisme récupérateur, fait rebrousser tout le convoi catholique dans le tunnel sans fond de l'obscurantisme, de la mise au pas, de la suspicion, de la division, de la joie indécente des uns (qui vont brandir leur grégorien nostalgique) et de la déception cuisante d'une majorité silencieuse ... Ah ! Si Jésus était là ! Mais il a bien été trahi et ses béatitudes sinistrées ! Franchement, en tant qu'athée - par conviction aujourd'hui mais d'abord par dépit hier -, je ne vois pas d'échappatoire pour ses disciples dans la tourmente présente, qui s'aggrave de jour en jour, et je n'aimerais guère être à leur place : puisque le christianisme est au Christ ce que le chauvisnisme est au chauve - donc rien de rien - ne vaut-il pas mieux déserter, entrer en clandestinité, aller au plus pressé : vers l'intérieur de soi-même, sa conscience blessée, son propre silence... et aussi vers les pauvres, les petits, les âmes grises du quotidien, les sans voix, les sans pedigree, toutes celles et ceux qui ne se réclament désormais d'aucune institution religieuse - surtout pas celle-là ! - mais pérégrinent à l'aveugle en accueillant et en partageant avec d'autres rebelles l'Hôte intérieur, le seul qui vaille parce qu'il entrouvre l'Avenir... Relire de toute urgence Jean Sulivan, le Passant, et partir à sa suite, brûlé jusqu'à l'incandescence par sa lucidité prophétique : "Que de temps il m'aura fallu pour apercevoir que j'avais vécu pour complaire aux miens, à l'Eglise officielle, avant de comprendre qu'il importait de défaire l'être de convention sincère, la doublure de soi et qu'on ne peut être fidèle à Dieu si on ne l'est à sa parole intime. Pour cela qu'il faut s'expatrier, consentir à l'exil intérieur, donc à la solitude. (...) Scission en moi-même. Peut-être. Quoique je ne rêve jamais que de la réalité. Scission religieuse ? Certainement." (J. Sulivan, L'écart et l'alliance, livre posthume, Gallimard, 1981).
Si je dois retrouver la voix (la voie) du Nazaréen, ce sera autrement… ailleurs… d'abord sans doute dans le silence de mon désir rajeuni et de mes propres contradictions. Car celui qui hait très fort peut avoir d'abord beaucoup (trop) aimé et s'être senti floué, instrumentalisé voire castré… Pour utiliser une petite parabole gastronomique et pour revenir à votre objection, cher François, ce n'est pas parce qu'on est devenu végétarien sur le tard qu'on a perdu la saveur de la chair animale et qu'on ne sait plus, à l'occasion, différencier le produit fermier des ersatz surgelés qui restent au travers du gosier et donnent un haut le cœur. Bien au contraire… Disons que la nostalgie en est d'autant plus ravivée et meurtrie. « La peur - avait coutume de dire François de Sales, le prédécesseur de l'évêque falot qui m'ordonna - fait plus de mal que le mal. » Je pense sincèrement que l'Eglise de Ratzinger – qui ne représente fort heureusement que lui-même et ses collaborateurs, fussent-ils en synode et dans une tempête du Paraclet soufflant à décorner des bœufs – cette confrérie de mâles sénescents et autoritaires incarne pour moi, le mécréant qui persiste et signe, non seulement l'Institution qui me fit fuir mais aussi - pour les disciples d'aujourd'hui, plus fidèles ou plus persévérants que moi-même, une peau de chagrin de plus en plus rugueuse et glacée. Comment me réjouirais-je de leur inconfort ? De leur écartèlement quasi continuel ? Ce n'est pas parce qu'on s'est séparé de son ex (ce qui m'est aussi arrivé !) qu'on ne souhaite pas qu'elle soit enfin heureuse, libre, encore jeune et désirable ! Qui n'aspirerait pas en ce printemps 2007 à un nectar nouveau dans des outres neuves fût-ce au risque d'une joyeuse ébriété comme au temps de Pentecôte !
Or, votre Ratzinger ne donne guère envie à ses troupes de s'enivrer, juste d'être raisonnables, morales, moutonnières, et, au tournant, misogynes voire homophobes. Serait-ce la Bonne Nouvelle du salut et la gloire de « Dieu » dans l'Homme Vivant ? D'ailleurs, s'il y avait moins de gens (de papes) qui parlent sans cesse en Son Nom, peut-être Lui laisserais-je le bénéfice du doute. Mais non, eux, ils savent, ils savent tout de Dieu, de Son mystère, de Ses exigences, de la façon d'aimer, de la seule manière (naturelle) humaine d'être conçu, de vivre et de mourir dans la dignité (refusée), ils savent sur le bout du doigt les rites qu'Il préfère, le dialecte sacré qui Lui agrée, les sexes qui Le servent le plus dignement et même le Mystère indicible de Ses noces sublimes avec son peuple affamé ! Dès lors, tout le verbiage théologique du pape sur le Mystère Eucharistique (je lui concède ces deux pompeuses majuscules) ne m'intéresse ni ne me concerne - me consterne plutôt (n'en ai-je pas fait moi aussi, avec une voix de violoncelle et d'amples mouvements d'aube immaculée, des homélies sublimes que s'arrachaient mes groupies !). Basta ! Que l'Institution commence par INCARNER au ras des primevères la Joyeuse Nouvelle libératrice dans sa vie, ses mœurs, son indigence choisie, sa décroissance assumée, son silence médiatique mais aussi ses instructions minimalistes, ses exhortations au renouveau, ses ouvertures à l'avenir joyeuses et confiantes… ou plutôt QU'ELLE Y RENONCE A JAMAIS ! Qu'elle renonce à tout, à sa visibilité, comme le levain perdu et apparemment sacrifié et gaspillé. La vérité du Royaume de Tendresse et de Justice implique à mes yeux le sabordage du paquebot « Christianisme » que son fondateur n'a jamais appelé de ses vœux et sur lequel je ne m'embarquerai plus jamais.

Mais si l'Eglise catholique redevenait humble, servante et pauvre, ce serait une autre histoire… qui, on le sait, sainte ou non, ne se réécrit jamais ni ne repasse les plats. D'où ma frustration et une soif spirituelle que nulle Eglise ne vient étancher parce que les mots qu'elle prononce sont désormais desséchés et disqualifiés, et son témoignage frelaté. "