En ce temps-là, autrefois, je me trouvais dans le grand Néant intersidéral. Y étais-je bien ? Confortable ? Heureux ? En bonne compagnie ? Etc. Je ne sais. Je ne m'en souviens pas. L'homoncule que je suis devenu par la suite n'est pas programmé pour s'en souvenir.

Et puis un jour, un après-midi d'été, j'ai quitté ce grand Néant intersidéral pour débarquer, plutôt éclore, sur une petite planète bleue appelée Terre, elle-même perdue dans le même grand Néant intersidéral. Une sorte de néant gigogne à l'infini. ! Passons. Il me plaît d'imaginer que ce fut une volonté aimante qui me propulsa sur cette planète, dans une existence dite "humaine". En fait, je n'en suis pas certain... plutôt l'insouciance ou l'indifférence. Ça se produisit à l'automne de l'an de disgrâce 1946, lors d'un spasme plutôt agréable (surtout à l'époque de l'après-guerre), au cours duquel des gènes étrangers se rencontrèrent et forniquèrent. Passons bis. Quant à la volonté aimante ou non de mes géniteurs, je n'en saurai jamais rien puisqu'ils ont disparu aujourd'hui et sont retournés avant moi dans le grand Néant intersidéral.

Donc, depuis quelques années, me voici sur cette planète. Pour quelques années encore. Combien ? Je ne sais. Je n'ai pas été programmé pour le savoir. Je vis donc pour "x" temps. Qu'est-ce à dire, "je vis" ? Je respire, je m’alimente, je défèque. J'écris "je" mais en fait, je n'en sais rien. Disons que mon corps, de façon automatique, respire, s'alimente, défèque. Au niveau des idées ou des émotions, je suis alternativement joyeux ou triste, plutôt joyeux, encore curieux, souvent ébahi par ce qui m'arrive. Il m'arrive aussi d'aimer ou d'être aimé – mal. Parfois, à mesure que je vieillis, mon enveloppe corporelle s'use et flétrit. Normal, comme les feuilles qui jaunissent à l'automne ou la moindre bricole qui s'use et soudain casse. (Comme mon bracelet de montre durant cette nuit. Il faudra donc le remplacer donc banquer. Merde !). Ainsi, à l'instar de ces objets à "obsolescence programmée" (comme disent les intellos qui inventent et jouent avec des mots pour masquer leur ignorance crasse de bipèdes issus du grand Néant intersidéral !), l'amour casse, l'orgasme lasse, la fidélité s'efface. Seule l'Amitié peut-être... C'est sans doute pourquoi j'ai griffonné hier sur mon agenda : " Mon unique, mon plus fort désir aurait été de rencontrer mon Étienne de la Boétie. Las, à mon âge, je n'en ai plus le temps..."

Car je vais bientôt retourner dans mon vaste Néant intersidéral. Comme toi. (Comme tous ces fringants jeunes gens ou ces donzelles affriolantes qui exhibent insolemment jeunesse et beauté comme passeport pour l'éternité. Mais même les passeports rutilants deviennent un jour périmés. Ouf ! Il y a une justice. Sorry pour la digression. ) Où en étais-je ? Je vais donc un jour trépasser. Comme toi. Comme nous tous. Quand ? Comment ? De manière agréable ou déplaisante ? Comme lors de ma naissance, dans le sang, les glaires, les cris de terreur ou de souffrance ? Je n'en sais rien. Absolument rien. Je n'ai pas été programmé pour savoir ces choses. Sans doute est-ce mieux. L'ignorance est toujours plus confortable. La seule certitude : l'issue est certaine. Ça me pend au nez. "C'est factuel" comme disait souvent mon ex-amant avec qui néanmoins je baisai hier à la sauvette car tout ce qui est bon est bon à prendre ! Avant de me fondre bientôt dans le grand Néant intersidéral forcément froid et asexué, du moins je présume. J'y serai sans doute privé de souffle. Privé d'énergie. Privé de musique (Pas même Le Bach du dimanche qui commence sur France-Musique dans trois heures ?!). Privé de poésie. Privé d’orgasme. Privé aussi de mon Forêt Noire préféré de chez Joseph ! Tant pis puisque c'est écrit. Donc, privé de tout et de tous avant de redevenir Rien. Dans ce foutu grand Néant intersidéral ! On y revient toujours, Forcément. Fatalement. Absurdement. Rien.

Encore quelques mots car mon insomnie m'épuise autant qu'elle m'excite, Pour conjurer leur inconnaissance du grand Néant intersidéral, pour diminuer leur stupeur d'en être absurdement issus et de devoir y retourner, pour mettre du baume sur leur terreur inavouée d'être un jour nés et de devoir bientôt crever... la plupart choisissent d'apprivoiser le grand Néant intersidéral et de l'appeler " DIEU ". C'est leur choix, Ils s'y tiennent, s'y maintiennent, comme ces gosses qui veulent croire encore au Père Noël tout en continuant de pisser au lit parce que, inconsciemment, ils voudraient régresser pour redevenir et rester des fœtus inconscients et insensibles. Passons, c'est trop dégoûtant. Les marmots sont souvent dégoûtants, disons casse-bonbons. Toutes les religions sont dégoutantes aussi. Souvent méchantes. Prenant leurs Messies pour des lanternes et, dans le fond, n'aimant pas les hommes ni leur petite planète d'adoption puisqu'elles lui préfèrent le Ciel et l'éternelle garden party garantie et préparée de toute éternité par ce foutu " Bon Dieu", faussaire sublime que, par dérision, je préfère appeler FLIP-FLOP.

Comme Lui, je vais bientôt devoir faire un flop. Pour retourner dans le grand Néant intersidéral. Quand ? Comment ? Etc. Cf. supra. J'en termine. Avant de sombrer, j'espère, dans le sommeil réparateur qui sauve la moitié de notre vie, malgré parfois d'horrifiques cauchemars ou, pour certains, des crises d'asthme nocturnes qui doivent être autrement pires ! Donc deux citations pour clore le débat. Rilke d'abord : "La vie est difficile. Il faut s'y tenir." OK, j'y tiens, je m'y tiens, même si je tique sur son "il faut" moralisateur. Céline ensuite, ce grand et cher salopard qui écrivait comme un dieu. Son constat est doux et plaisant : " La vérité de ce monde, c'est la mort ! La vie n'est qu'une ivresse, un mensonge, c'est délicieux et bien indispensable !" Le bonhomme s'était radouci en prenant de l'âge.

Merci, Louis-Ferdinand, et peut-être à bientôt, qui sait ? dans le grand Néant intersidéral et primordial dont nous sommes sortis, toi et moi, et qui — après une parenthèse terrestre — nous est pour l'éternité mystérieusement garanti. Dès lors, survivre en attendant, c'est sans aucun doute, comme tu dis, "délicieux et indispensable" Et, somme toute, pas si mystérieux que ça ! Ni aussi affolant qu’on le dit, non ?

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Écrit d'une traite dans la nuit du 2 au 3 mars 2024, entre trois et cinq heures du matin.