Quelques mois seulement après la parution de son premier « roman » (Le feu du Royaume), ce jeune auteur encore parfaitement inconnu fait paraître « sa » version des Évangiles. Total changement de structure et de style. Mais en réalité une continuité, une élucidation, mieux, une interpénétration.

Dans un avis paru sur un site littéraire, je me souviens avoir été plutôt critique sur le premier ouvrage de ce Kabyle qui vient d’entrer en Littérature française comme on entre en religion (si possible soufi, cf. le bref texte en arabe de l’avant-dernière page de son 5e évangile illuminée par une peinture de J.-F. Béné) : « (…) Une tchatche hallucinée. Un humour involontaire fait de maladresses de vocabulaire et de 1er degré existentiel. C'est fort. Troublant. Dérangeant et, à mon avis, pathétique. » Or, aujourd’hui, l’auteur semble me dire : « Vieil auteur, tu n’as rien compris ! Ni à mon récit ni au secret qui le calcine. Forcément, toi, tu es apostat et moi, nouveau converti ! Ici, la rage refroidie, là l’enthousiasme bouillonnant ! Tu n’as donc pas su trouver ma sève sous l’écorce rugueuse. Mon secret le voici. Dans mon second livre. Tu le cherches encore ? J’espère, car le jour où tu dis : "c’est assez" (variante : "je sais"), tu es un homme mort. Eh bien, va sur ma montagne sacrée. Là, tu comprendras. Et peut-être, comme moi, tu seras subjugué, dévasté et ta vie prendra un autre cours… »

Soit. J’ai donc grimpé sur sa montagne, à vrai dire, une modeste colline de Palestine. J’ai vu, j’ai surtout écouté, je n’ai certes pas tout compris. Mais j’ai été imprégné de douceur et de lumière, touché par une profondeur insoupçonnée s’agissant d’un texte dit sacré et tellement rabâché. En effet, l’auteur a souhaité revisiter une séquence décisive des évangiles communément appelée “Le sermon sur la montagne ”. De sa part, à la fois un sacré culot et une audace tranquille. Dans le sillage de son roman (Le feu du Royaume), Nilbel, toujours aussi exalté, entend retrouver la fraîcheur originelle, le grain sémitique et surtout l’appel subversif du Rabbi palestinien. Un Évangile new look qui ne sente plus la naphtaline du Dogme, plutôt le miel et l’aloès poétiques, avec néanmoins force épices, puisque demeure pressante l’invitation du Maitre : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, avec quoi va-t-on saler ? » Sous la plume du trentenaire inspiré, voici une langue étrange très très ancienne, très sémitique (donc dépaysante mais poétique) zébrée ici et là, comme dans le premier livre de l’auteur, de savoureux anachronismes (l’inflation, la réforme des retraites, l’organisation du meeting, la tentation pédophile, etc.). On dirait que l'auteur, avec aisance et souplesse, fait du neuf avec du vieux. Sans doute a-t-il médité la parabole des outres ! Mais jamais d’assertions péremptoires, toujours une allusion, un renvoi subtil aux Écritures. À titre d’exemple, jamais il n’est écrit que Iéschoua ou ‘Īsā (nom arabe de Jésus) est fils de Dieu, mis en croix et ressuscité. Mais il suffit d’un sanglot discret du Rabbi… plus loin d’une prophétie concernant un mystérieux jardin enchanté, pour que cette question se pose : mais qui est-il, ce jeune prophète, si humain, si « autre » ? Et en quoi peut-il bouleverser la vie d’un disciple d’autrefois ou d’aujourd’hui ? Voici, à titre d’exemple, une phrase énigmatique qui m’a troublé et inspiré car, c’est allusif, jamais nous ne sommes dans l’ordre du Dogme ni de l'injonction à Croire, plutôt dans celui de la poésie et de la parabole. C'est Ieschoua' qui explique : « Comment ne pas me réjouir à l’avance qu’un soir, dans son propre jardin, un riche de Ramataîm, devenu adepte, accueille mon corps brisé dans une niche du rocher ? Ici, chez Iosseph, se mêleront alors mille et mille parfums de fleurs, car pareille graine n’y sera jamais plus déposée : une semence d’Immortalité ! " » Ainsi, au fil des pages, de pépite en pépite, je crois avoir saisi de l’intérieur que ce récit est pour Helcim Nilbel un retour aux sources et un bain de jouvence.

Suite à sa conversion tardive, la spiritualité chrétienne le dévore ainsi que la langue française qu’il a choisi de servir, d’une manière paradoxale : d’abord en l'estropiant à dessein dans son autofiction vouée au fils de Marie, puis en la sublimant ici de la manière la plus classique qui soit dans sa relecture évangélique. Pari tenu, selon un connaisseur : « Fruit d’une lecture approfondie du Sermon sur la montagne et d’une créativité littéraire, écrites d’une belle plume, des pages qui renouvellent le langage et rappellent la radicalité du message. » (Charles Delhez, sj) Au final, je dois en convenir, un écrivain confirmé et deux livres indissociables formant un diptyque aussi contrasté et complémentaire que le sont le jour et la nuit.

Sur la 4ème de couverture de l’ouvrage, on peut lire ces mots : « Cette recréation littéraire étanchera-t-elle notre modernité gavée et desséchée ? » C’est un pari. Pour moi, toujours aussi réfractaire à la spiritualité, surtout aux religions, ce n’est pas gagné ! Même si j’avoue que ce petit livre, à défaut d’être une illumination, est une caresse et un baume, avec, entre les lignes, cette incroyable promesse, greffée sur mes larmes et sur l’obscur de nos vies : « Chacun possède en lui un ‘Īsā. Si nous éprouvons en nous cette douleur, notre ‘Īsā naîtra. » (Jalal Ud Din Run Le livre du dedans)

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La montagne sacrée de René-Samir Helcim Nilbel publié aux Éditions du Net en décembre 2023. Format : 150 X 230 mm Avec deux illustrations du peintre Jean-François Béné Pagination : 84 pages ISBN : 978-2-312-14115-2 Auprès de l’éditeur : www.leseditionsdunet.com Sur les sites d’Internet : Amazon.fr, Chapitre.com, Franc.com, Cultura, etc. Auprès de votre libraire habituel