C'est entendu, je ne crois pas en "Dieu". Je ne crois plus en lui. Même plus le bénéfice du doute. Ouf ! Bon vent. À 76 ans, il était temps, non ? Mais alors, que faire de la prière qui m'infiltra, me parasite depuis toujours ?

En écrivant la conclusion de mon prochain et décisif ouvrage " Flip-Flop ", réjouissant traité d'athéologie qui paraîtra le 4 juillet prochain aux éditions du Net (en ebook sur Amazon kindle à la même date), j'ai déniché et expérimenté une nouvelle utilisation de l'oraison. Évidemment, je n'invoque plus quelque puissance tutélaire, mais j'exhorte... je m'exhorte moi-même puisqu'en définitive je ne crois qu'en l'Homme, au meilleur de l'Homme : Homo Deus. Et d'abord l'homme, le petit homme, le minus génial que je suis ! Donc en ME priant moi-même, en M’invoquant avec ferveur, je me stimule, je me pousse vers le haut, je me ressaisis, je m'éclate, je me transcende, je me reprends en mains pour accéder â l'Homme supérieur qui est en moi ; pour le dire trivialement, je me botte poétiquement le cul. Et ça marche !

L'idée m'en est venue tout récemment. Venant de terminer mon bouquin sulfureux qui se clôture par une incroyable bonne nouvelle, une sorte de Loto inattendu... bref, le 21 juin dernier, jour de la musique et de l'été, voici que je me retrouve à l'intérieur de la cathédrale St Front à Périgueux. Un fort et indéracinable atavisme m'y a poussé, d'autant plus facilement que j'habite à deux pas. Tout est calme, une avenante pénombre. Et pas un chat. Aucun ange non plus. Pas même une bigote ! Je m'approche de la statue la moins laide – j’ai l’embarras du choix – donc ni le Sacré-Cœur ni Bernadette Scoubidou, plutôt François d'Assise dit le Poverello. (Dans mon nouveau bouquin, une invocation salace lui est dédiée !). Aux pieds de l'horrible statue en stuc peinturluré (cette couleur caca que je déteste !), j'avais sans doute été intrigué par une tête de mort posée sur un grimoire poussiéreux. Mais cette vision macabre ne refroidit en rien la joie qui m'habita en ce providentiel matin du 21 juin 2023 car aussitôt, toujours mû par le même atavisme religieux, je me saisis d'un lumignon à 1 euro, l'allume puis le dépose au pied de la bure de plâtre, tout à côté du crâne luisant dans l’ombre.

Et maintenant, que faire ? Que murmurer ? Je ne vais tout de même pas prier, ni pleurer de joie puisque je viens de toucher le Loto (cf. L'épilogue de mon pamphlet).

C'est alors, autre atavisme, non pas gestuel mais mental cette fois, que je me souvins d'une vieille prière qui enchanta mon enfance. Là, aux pieds de la statue de St François, elle s'impose. Elle va jaillir, c'est sûr. Évidemment, ma raison, toujours aux aguets, me rappelle illico que cette prière, l'une des plus célèbres et des plus ânonnées sur terre, est attribuée au saint d'Assise mais n'est pas de lui, plus prosaïquement d'un obscur et pieux chanoine, au début de la guerre de 14. (1) Un texte très beau par ailleurs et qui rencontra le succès que l'on sait.

Mais que faire de cette soudaine autant qu'inattendue oraison jaculatoire ? Je ne peux décidément pas revenir à mes vieilles superstitions, à mes vieilles incantations ! C'est alors, faisant joyeusement mon deuil de "dieu", contemplant toujours mon lumignon tremblotant, c'est alors que, spontanément, à mi-voix, je récitai la fameuse prière, mais en la détournant de la cible, ce Seigneur du ciel qui n'existe pas, pour chercher cette cible en moi, tout bonnement, puisque seul j'existe, vibrant, fervent, certes authentiquement athée mais, ce matin-là, incroyablement heureux et soulagé pour les raisons littéraires et financières susdites. Donc une prière sécularisée et destinée en priorité à bibi.

Mais alors, me diras-tu, qu'est-ce que ça donne, cette prière new look ?

En fait, le texte ne change pas, deux ou trois mots, trois fois rien. (Je supprime tout de même la dernière phrase car, non, non merci, la Vie éternelle, ça, je ne peux pas !) Ce qui change, je l'ai dit, c'est la cible devenue intérieure, une sorte de sympathique injonction, une forme de méthode Coué aussi poétique que performative. Comme dit la pub : ça marche ! C'est fort. C'est extra. Presque aussi remontant et euphorisant qu’un verre de scotch. Presque !

Bref, trêve d'exaltation mystique, puisque je devine que tu salives, voici le texte de ma prière auto suggestive, recyclée et recentrée, ce matin du 21 juin, jour de chance car, non seulement j'ai gagné, mais je me sens désormais plus fort, plus grand, meilleur que je ne suis et plus fraternel, du moins ayant le désir de le devenir, bref, en un mot plus humain. Une métamorphose allègre que les mots traduisent et exaltent. (Et que l’action devra si possible réaliser.) Ce sont les mots qui sont prodigieux, toujours, qu'ils tuent ou fassent vivre ! Oui, je l'atteste tel est l'effet magique de cet hymne franciscain revisité que je reprendrai d'ailleurs à l'avenir, quand le besoin se fera sentir de me booster in petto, selon ma nouvelle foi purifiée et si miraculeusement roborative : EGO CONFIDO IN ME SOLUM.

Ce qui donne :

Bellin, mon ami, deviens enfin un instrument de paix. Là où il y a de la haine, mets l’amour. Là où il y a l’offense, mets le pardon. Là où il y a la discorde, mets l’union. Là où il y a l’erreur, mets la vérité. Là où il y a le doute, redouble-le. Là où il y a le désespoir, mets l’espérance. Là où il y a les ténèbres, mets la lumière. Là où il y a la tristesse, mets ta joie. Ô Bellinus Minus, ne cherche pas tant à être consolé qu’à consoler, à être compris qu’à comprendre, à être aimé qu’à aimer, car c’est en donnant qu’on reçoit, c’est en t’oubliant que tu te trouveras !

Nouvelle version bellinesque (juin 2023) de la plus ancienne version de la prière « franciscaine » in La Clochette, n° 12, déc. 1912, p. 285.

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(1) La première version connue est publiée dans le numéro de décembre 1912 de La Clochette (bulletin de la Ligue de la Sainte Messe) par le prêtre normand Esther Bouquerel (1855-1923)2. Elle se présente comme un texte anonyme, intitulé « Belle Prière à faire pendant la Messe », comme l'a montré Christian Renoux dans son livre sur l'histoire de cette prière.