Sur le chef vénérable du pape François sont vissées deux calottes immaculées, pour ne pas dire deux casquettes, l’une plutôt molle, l’autre rigide : celle du brave homme débordant de charité voire de compassion pour les personnes homosexuelles (« Qui suis-je pour juger ? ») ; celle du Pontife intransigeant, tenant et garant de la morale catholique à l’égard de celles et ceux qui persévèrent dans leur perversion irrémissible. En même temps que la charité pateline, l’invocation de la psychiatrie si essentielle pour canaliser les errances enfantines. Un partout. Et toujours dans la ligne de Benoît XVI qui – il ne faudrait jamais minimiser ni oublier ce scandaleux coup de force – a interdit le 31 août 2005 l’accès des Ordres Sacrés aux gays assumant leurs actes « intrinsèquement immoraux et contraires à la loi naturelle. »

Comme il se doit, l’exclusion en Église est toujours enrobée de douceur et d’empathie – aujourd’hui, de contrition. Il n’empêche, l’ordre règne à Rome. Puisque trop de pédophiles se sont infiltrés dans ses rangs, du fait de l’immobilisme névrogène de l’ordre clérical depuis quelque dix siècles, il est constant pour elle de débusquer des biques émissaires : les gays ! Ainsi, quand les pédophiles pullulent, les homos trinquent. Forcément ! Forcément logique : sous ce karcher à l’eau bénite – outre l’amalgame répugnant –, c’est toute la logique catholique qui est ainsi mise à nu quant au rapport de la Sexualité humaine (accessoirement l’amour) avec le Sacré (accessoirement la foi). En fait, tout procède toujours du même raisonnement, un raisonnement évident, massif, limpide : à un Dieu mâle, des serviteurs mâles ; à un Dieu pur, des presbytes purs ; à un Dieu Trinitaire et fécond en son Essence, une seule et même famille humaine féconde et hétéronormée. Trinité, dis-je, accessoirement secondée d’une déesse : Dame Nature, pas si bonne mère que ça ! Dès lors, comment le phallus (et ses pratiques supposées infamantes) pourrait-il devenir l’échelle de Jacob permettant d’accéder aux Saints Mystères par le truchement desquels le Corps christique – supplicié et sublimé – devient par transsubstantiation une pâle et molle hostie ? « L’Église, même si elle respecte profondément les personnes homosexuelles, ne peut admettre comme prêtres ceux qui pratiquent l'homosexualité, qui présentent des tendances homosexuelles profondes ou qui soutiennent ce qu'on appelle la "culture gay", car il s'agit d'une situation qui représente un obstacle aux relations correctes entre hommes et femmes. » Cherchez la femme ? Du côté de sa seule relation harmonieuse avec son homme (hétéro) ? Ce serait botter en touche. Cherchons à mon avis une explication plus subtile, entre Freud et Mircea Eliade, qu’on pourrait résumer de manière abrupte et imagée : puisque le Dieu chrétien ne bande pas, tout prêtre consacré ne peut être qu’un lévite asexué… à défaut d’être castré ! Ou symboliquement écarté. D’ailleurs, les homosexuels ne sont pas les seuls à être stigmatisés. On pourrait dire des choses très voisines concernant l’empêchement des femmes puisque, depuis des temps immémoriaux, les « servantes du Seigneur » ne peuvent accéder au sacerdoce à cause de leur sexe. Menstruations, pollutions, éjaculations… mêmes tabous, mêmes interdits. Là où le Sacré commande, le Plaisir débande.

Dans son livre « Contre Dieu » (Phébus, 1997), qui éclipse par sa sagacité et son humour la charge de Michel Onfray qui fit long feu, Alain Tête a bien analysé cette logique manichéenne. « L’amour profane et l’amour sacré, Eros et Agapè, sont incompatibles parce que l’un est faux et l’autre vrai. Dans l’un, le corps jouit. Dans l’autre, l’âme parle. (…) Que le christianisme soit hanté par le déni du phallus et que ce déni prenne la forme de l’Amour mystique, en sacralise la vérité, en fasse pour l’homme un devoir, resterait inintelligible si Dieu bandait. Mais nous savons que le dieu chrétien ne bande pas. Il aime. Dieu incarné mais dieu vierge, né d’une vierge, Jésus est le déni du corps sexué et le christianisme sa hantise perpétuée. En inventant un amour pur, le christianisme a brisé pour longtemps l’unité humaine puisque l’aimé a une âme avant d’avoir un corps. De là ce trouble spécifique que le christianisme a introduit dans le langage du sexe. Ne relevant plus de la fascination antique (regard d’effroi devant le « fascinus », pénis tumescent), l’amour profane est désormais une profanation. »

Or, le sanctuaire catholique ne tolère pas la profanation. Ni Pythie ni vestales. Les saintes femmes resteront donc sacristines ; les clercs, de (vieux) célibataires consacrés, évidemment asexuels, et les homos… de pauvres zozos ! D’ailleurs pourquoi le dicastère romain ne créerait-il pas à leur intention un nouvel ordre (mineur) : celui des jongleurs de Notre-Dame des Fleurs gambillant sur le parvis ad majorem gloriam Dei ?! Rions, mes frères, pour ne pas avoir à en pleurer. À ce propos, le génie ne consiste-t-il pas à fuser (!) tout en restant économe. Démonstration : Nietzsche. En quelques mots, il disait déjà la même chose qu’Alain Tête ou Michel Onfray, en plus condensé, en plus percutant : « Le christianisme a donné du poison à boire à Eros ; il n’en est pas mort, mais il a dégénéré en vice. » Nous en sommes toujours là. Rien ne change car rien ne peut changer dès lors que sont complices une anthropologie surannée et une théologie mortifère. En ces conditions, les papes se succèdent et c’est le même immobilisme. Le mal-être des clercs – les crimes d’une minorité – est de plus en plus dévoilé, et c’est la même consigne : « Circulez, il n’y a rien à voir. » Logique infaillible : puisque l’Institution catholique, s’autoproclamant « experte en humanité », a les paroles de la Vie Éternelle, rien d’étonnant à ce que le Dogme ancestral de l’homophobie soit gravé dans le marbre du Vatican in saecula saeculorum.

Ainsi, à défaut de pouvoir effacer de la surface de la terre le mauvais arbre qui fatalement ne peut porter que de mauvais fruits, eh bien ! que ses branches soient sciées ; les surgeons éradiqués ; les bourgeons froissés ; que toute promesse de vie, de tendresse mutuelle et de fécondité conjugale soit niée et annihilée puisque, tel le figuier, cet arbre de Sodome, de toute éternité, fut et reste maudit par Dieu.

J’ajoute encore ceci, non comme inutile provocation mais en guise de témoignage : ayant quant à moi goûté successivement à ces deux liqueurs (la première, combien amère !) – le déni du corps consacré puis la rédemption par l’amour (homo)sexué – ma religion est faite depuis longtemps et mon ivresse assumée : pecca fortiter ! Avec cette petite consolation – en fait immense et ardente : puisque, selon moi, le christianisme est au Christ ce que le chauvinisme est au chauve ou la calvitie à Calvi ! ma Foi, elle, reste sauve. Quoique hors-norme. La foi de nombreux gays aussi. Mais hors sol. Hors tribu bien-pensante. Hors catholicisme. Évidemment hors cléricalisme. Uniquement dans et par l’Évangile. Une sorte de spiritualité séculière, telle que la promeut l’ancien prieur (défroqué) de Bocquen. Et une morale minimaliste à la Ruwen Ogien : ne pas nuire à autrui, en aucun cas, tout en disposant librement de soi-même, de son propre corps, de son sexe. Avec cette confiance renforcée en celui (quelque part, un peu transgenre, non ?! Et passablement délirant car il s’imaginait être le confident et le fils du Très-Haut ! Mais il avait bon fond et c’est ce qui doit rester du « christianisme » fondé par Paul de Tarse : Jésus est cet Homme génial, doux, pacifique, poétique, fraternel, ami des petits et des sans-grades. ) Et j’aime à me souvenir et à croire que, depuis l’aube pascale plus tard mythifiée, ‘Isà le Magnanime continue d’accueillir, d’apaiser, de relativiser, peut-être de sourire tout en traçant des signes cabalistiques sur le sable car, murmurait-il sans juger, « il y a beaucoup de demeures chez mon Père. Sinon, pourquoi vous aurais-je dit que je vais vous préparer une place ? » (Jn 14, 1-2).

Une place pour nous tous ? Chic alors ! Et, pour le reste, que passe son chemin et s’efface au loin la procession des papes et autres imams et ayatollahs obscurantistes et pharisaïques ! Tous manipulateurs du divin, ennemis du genre humain, et certains, assassins.