Voici une bourde qui aura eu son petit quart d’heure de fièvre médiatique ! Somme toute attendu et bienvenu dans la torpeur de l’été, entre trois marronniers : la canicule et le tour de France, en attendant l’incontournable « chassé-croisé » estival. Cela devrait alerter sur la bénignité du forfait et les réactions excessives qu’il suscita.

Personnellement, je ne me suis pas senti concerné, encore moins blessé, par la maladresse de Madame Caroline Cayeux. Voici une expression surannée, involontairement comique, qui fleure bon une certaine condescendance de classe. Car chez ces gens-ci, on se bouche un peu le nez tout en affichant son sympathique penchant gay friendly et tout est bien dans le meilleur des mondes, quelque part entre les Groseille et les Le Quesnois de toujours. Pas de quoi fouetter un chat mais évidemment matière, puisqu’on est en France, à levée de boucliers, cris d’orfraie, vertueuse indignation et impérieux appels à démission.

Une unanimité de façade cache souvent de basses querelles intestines, particulièrement dans l’univers gay, qui, à défaut de constituer une authentique « communauté », connaît actuellement quelques soubresauts et piteuse guérilla. Juin 2022, « le » mois de la sacro-sainte Fierté, en fut un exemplaire catalyseur et détonateur. « Nos corps, nos droits, vos gueules » vociféra-t-on dans les rues. Comment ne pas mieux synthétiser, tout en la masquant, l’intolérance hargneuse d’une masse dite festive, en fait noyautée par une faction de trans querelleurs ? Le prurit victimaire, outre le délicieux supplice que chacun peut éprouver en y cédant compulsivement, cache souvent des luttes endogamiques nées d’abus de pouvoir et de frustrations minoritaires, le tout sublimé par d’ardents appels à l’Égalité, à la Fraternité, à la Liberté, etc. Surtout à la reconnaissance universelle, et aux droits davantage qu’aux devoirs. Il n’est pas indifférent par ailleurs qu’une seule association, Grey Pride pour ne pas la nommer, se soit démarquée d’un slogan tapageur et odieux, car autocentré et fermé au dialogue. Tout simplement parce que les seniors homos sont aujourd’hui lassés voire inquiets de ce qu’est devenu le microcosme gay, plus marigot qu’arc-en-ciel, chaque minorité de minorités voulant se faire sa place au soleil et aboyer plus fort que sa voisine. Tout devient alors confus, obscur, rétrograde, dans la surenchère incessante des « luttes », jusqu’à l’ubuesque sigle LGBT…….+ devenu un fourre-tout à rallonges, chacune et chacun tenant mordicus à son Initiale, à son Estampille, sur fond de suspicion réciproque. Et c’est ainsi que ressurgit l’hydre aux multiples têtes hideuses que chacun prétend trancher, sauf évidemment la sienne propre, ces mufles qui ont pour noms jeunisme, radicalisme, communautarisme, lutte de pouvoirs dans les états-majors… le tout, évidemment, sur fond de wookisme mal digéré, de théorie gender mal comprise, et évidemment de tyrannique inclusivité.

Or, bon nombre de personnes homosexuelles, pour reprendre une désignation également datée, voire désormais inappropriée au XXIe siècle, parlons donc plutôt d’êtres humains, ne souhaitent plus être identifiés à leurs préférences sexuelles anecdotiques, donc assignés à résidence, à résilience voire à un militantisme incessant et bruyant, qu’ils soient jeunes ou moins jeunes. Beaucoup d’êtres humains souhaitent simplement être heureux, qu’on les laisse vivre et aimer et vieillir en paix, sans être pris en otages, sans se laisser embarquer dans des manipulations politiciennes au nom des grands principes abstraits prétendument fédérateurs. De l’air ! De la dignité ! Du silence, please.

Et du simple bon sens. Non ! une maladresse langagière n’est pas une déclaration de guerre. Non ! une bourgeoise n’est pas obligatoirement une homophobe patentée. Non ! une ministre n’est pas ipso facto disqualifiée par une micro bêtise. Non ! les minorités querelleuses ne représentent pas toutes les victimes d’homophobie, mais souvent et uniquement elles-mêmes, leur propre pedigree prétendument méprisé, leur propre leadership prétendument menacé en interne. Car s’il est un troupeau anonyme, bêlant et consentant, il y a et il y aura aussi, partout et toujours, des brebis galeuses déguisées en loups. Ne pas le reconnaître, ne pas y veiller, ne pas l’assumer, c’est aussi offrir des verges (!) pour nous faire fouetter et donner du grain à moudre à un autre « bon sens », moins innocent, voire retors, celui par exemple de Sébastien Lecornu lorsqu’il déclarait : « Le communautarisme gay m’exaspère autant que l’homophobie. »

Il y a une dizaine d’années, le jour même de la Gay Pride parisienne, Le Monde a fait paraître une de mes contributions intitulée « Bannières et ostensoirs »1. Je m’étais en effet mis en marche vers une assomption personnelle par une revendication à l’« indifférence ». Je viens de relire ce texte. À mon avis, ma profession de foi, jugée blasphématoire par certains, n’a pas pris une ride. C’est plutôt son auteur qui a (mal) vieilli, est rentré dans le rang, par lassitude, par routine, par conformisme, peut-être à cause d’un virus idéologique inoculé dans mon naïf et paresseux prêt-à-penser. Or, à y regarder de plus près, de marche en marche, les choses se seraient plutôt aggravées, passant du folklore processionnaire à l’intolérance sectaire. Il est donc temps que, m’éloignant pour de bon de la caravane, je revienne à mes fondamentaux, à mon choix de vie, à mon credo de juin 2007 – certes à l’époque trop pompeux et tonitruant pour être honnête ! – foi néanmoins renforcée, mais aujourd’hui avec humilité, pourquoi pas humour, tout en faisant profil bas, comme chaque fois que n’est pas tenue une bonne résolution :




« (…) Que gagnons-nous à devenir chaque solstice d'été le zoo préféré des médias et les histrions de notre propre folklorisation corporatiste ? En serons-nous demain plus crédibles ? Plus matures ? Plus amicaux entre nous ? Plus efficaces pour tant d'autres militances bien plus urgentes ? (…) Parvenir enfin à l’indifférence. Consentir à l’insignifiance. Gommer l’appartenance. Ce pourquoi, émasculant les mots imbéciles et fuyant les flonflons, je hurle au silence comme un bâtard galeux : « Né-ga-ti-vons et rentrons chez nous ! »




Michel Bellin, écrivain

Cette tribune a été évidemment refusée par LIBÉRATION. Avec l'éternelle raison fallacieuse : faute de place !

''C’est avec attention que nous avons pris connaissance de votre proposition de contribution aux pages Idées de Libération. Nos contraintes éditoriales, qui nous valent un programme de publication très serré, ne nous permettent pas de publier votre article. En vous remerciant de votre compréhension,

Bien cordialement, Sonya Faure, responsable des Pages Idées Anastasia Vécrin Thibaut Sardier Erwan Cario Simon Blin Clémence Mary''














1 https://www.lemonde.fr/idees/article/2007/06/29/bannieres-et-ostensoirs-par-michel-bellin_929606_3232.html