Je suis en train de lire un livre délicieux, délicieusement cynique : « Mammifères » de Pierre Mérot. Ci-dessous un extrait (« L’oncle » est l’antihéros en question). Quant à l’illustration, je la tire de mon recueil BD fétiche concernant les hommes en blanc et leur (involontaire) humour noir. Autre avantage : ce dessin irrespectueux fait le lien avec mes deux précédents posts consacrés à l’inénarrable papauté.

Et pour faire bonne mesure, tout à a la fin, une petite réclame que j’ai concoctée dimanche matin alors que je m’ennuyais un brin. C’est de fort mauvais goût. Chouette ! Une précision toutefois en forme de requête concernant cette fausse pub : ne pas en déduire hâtivement qu’elle est autobiographique, tant en ce qui concerne le portrait du vieillard libidineux que de sa compulsion quotidienne ! Merci.


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(...) L’oncle consulte un psychiatre. C’est un bon psychiatre. Il ne fait ni miracles ni dégâts. Il est hypocondriaque. Il a arrêté de fumer parce qu’il redoute le cancer. Il est en plein divorce. Quand l’oncle parle, cet homme sympathique suit des yeux ses gestes et ses attitudes. L’oncle lui a demandé pourquoi il faisait ça. Le psychiatre est un comportementaliste : un mouvement des mains, une façon d’occuper l’espace sont des informations précieuses sur votre psychologie. Par exemple, si vous êtes assis au bord du fauteuil, les mains crispées sur les accoudoirs, ce brillant thérapeute en déduit que vous avez envie de partir.

Les comportementalistes ne veulent pas entendre parler de l’histoire de l’individu. Faire l’historique de votre angoisse ou de votre alcoolisme est pour eux sans intérêt. Si vous avez la phobie des araignées, ils n’en chercheront pas la cause, mais vous confronteront progressivement avec une mygale velue. De sorte que vous n’aurez plus peur des arachnéens mais serez terrorisé par les poils, les coquelicots ou les restaurants japonais. Les comportementalistes tentent vainement de vous hypnotiser. Ils s’obstinent à vous parler de plages. Ils ont tous appris les mêmes litanies dans un séminaire de comportementalistes ou dans un « Que sais-je ? » Écoutons un comportementaliste : « Vous marchez sur une plage… Vous sentez le sable sous vos pieds… Le sable est chaud… Et pendant que vous marchez longuement sur cette plage, sur ce sable, vous vous concentrez sur votre main droite… » Tandis que la voix monocorde récite le catalogue de Nouvelles frontières, l’oncle observe affectueusement le psychiatre qui somnole. Les comportementalistes ont cependant un grand avantage sur les moniteurs de yoga ou les psychanalystes : ils vous prescrivent des antidépresseurs, parfois avec une petite réticence théâtrale.

La salle d’attente du psychiatre est un endroit très rassurant. Il suffit d’y rester cinq minutes pour connaître un début de guérison. Une femme prostrée sur le canapé ne répond pas à votre salut amical et joyeux. Elle a les yeux cernés et les ongles rongés. Elle a visiblement très mal. Vous vous sentez en pleine forme par rapport à elle. Vous pouvez repartir. Vous n’avez rien payé. Restez, cependant, et dressez l’oreille.

Votre cure se poursuit. Le cabinet de psychiatre jouxte la salle d’attente. Vous entendez des cris, un long silence, puis des sanglots. Une femme est en train de craquer. Elle parle dans le lointain. Vous ne comprenez pas ce qu’elle dit. C’est dommage. En tout cas, vous êtes de plus en plus en forme. La porte du psychiatre s’ouvre et vous voyez sortir un attelage curieux : un quinquagénaire maigrichon en tête, puis un adolescent avec un casque de baladeur sur les oreilles, et enfin une femme effondrée. C’est une thérapie familiale. A force de fréquenter la salle d’attente, vous êtes devenu un spécialiste. D’un seul coup d’œil, vous comprenez le problème : le père est pratiquement inexistant, une espèce d’avorton qui doit fréquenter les putes et Internet ; le fils s’est emmuré dans un silence inquiétant de l’adolescence ; la mère au bord du divorce s’enfonce chaque jour davantage dans la dépression. Vous aimeriez leur parler, leur dire que vous avez compris leur problème, et surtout que vous avez la solution : il y a une armurerie pas loin avec de très beaux fusils de chasse. Mais vous vous levez en souriant et saluez votre psychiatre avec un regard complice. « Ils sont très mal en point ! » seront vos premières paroles. Le psychiatre confirme : le fils n’a pas enlevé son casque pendant la séance, le père n’a pas dit un mot, et la mère a pleuré, le tout pour une somme rondelette. Décidément, vous êtes en grande forme.


Extrait de Mammifères, de Pierre Mérot, Flammarion, 2003.


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