À l’occasion de la visite de François à François le jour de la St François (24 février 2014), quatre journalistes interrogent un archevêque sur le thème « Église et modernité ». C’est un prélat moderne, rompu aux médias et qui, dit-on, ne pratique pas la langue de buis. Le débat risque donc d'être vif, très vif d'autant plus que Mgr Martin a une solide réputation de franchise et défend, dit-on, des positions très avancées par rapport aux Restaurateurs de la Curie qui, on s’en souvient, finirent pas avoir la peau de feu Benedetto.

Les journalistes (trois hommes, une femme) semblent motivés, voire pugnaces. L'archevêque, lui, est calme et souriant. Une modeste croix étincelle sur son plastron gris. Affable, portant beau, l'Éminence présente tous les traits de la morphologie épiscopale : une peau de bébé ; peu d'itinérance sur sa face glabre ; sans doute beaucoup de croyance dans le vocabulaire. Mais, dieu merci, pas une once d'onctuosité ! Ouf ! un prélat moderne : on sent un homme aguerri à la communication moderne et avide, sinon d'en découdre, du moins de parler vrai. Oui, décidément, ce soir sur le plateau, le débat risque d'être vif, très vif.

Voici, pour ceux qui n'ont pas pu assister en direct jeudi dernier à l'interview sur la chaîne Eccclesia spes mundi (mais votre serviteur, vous vous en doutez, n’a pas manqué la prestation !), voici donc le fidèle compte-rendu des questions et des réponses :


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Extrait de "J. l'Apostat" page 181 (1996)
Avec l'aimable autorisation de Claire Bretecher

- Monseigneur Martin, l'Église connaît une période difficile et vous avez accepté de répondre franchement aux questions concrètes que se posent les chrétiens dans le monde et aussi les détracteurs de l'Institution de plus en plus nombreux...

- Bien sûr, je suis là pour ça.

- De nombreux scandales ont éclaté dans l'Église, d'abord en Amérique, puis en Irlande, ensuite en Allemagne et il semble que le nouveau pape…

- Si vous le permettez, avant d'aborder cette question ô combien brûlante, j'aimerais la situer dans un contexte élargi de fracture culturelle. Mais bien sûr, je n'entends pas éluder un sujet aussi douloureux sur lequel nous reviendrons. D'abord, si vous le voulez bien, la crise de la foi comme prémices et symptôme.

- En admettant qu'il faille commencer par là, quelle est donc la position de l'Église face à cette crise de la foi ?

- C'est une question très grave qui interpelle toutes les consciences. Je dirai qu'il n'y a pas crise, mais mutation, crise signifiant, comme vous le savez, à la fois péril et opportunité. Plus exactement mutation et donc recherche d'un dialogue plus authentique avec Dieu.

- On a assisté récemment à ce qu'il est convenu d'appeler des ingérences du Vatican dans le domaine politique. Il semblerait même que le Président français veuille donner au Vatican des gages de conciliation après les soubresauts de la loi sur le mariage pour tous. Quelle est votre position précise sur ce sujet ?

- C'est une vaste question. L'Église se doit de porter la Parole, dans un esprit responsable, à travers le monde incarné et de chercher Jésus-Christ à travers les événements, hic et nunc, et toujours dans un contexte de responsabilisation et d'éveil des consciences.

- Mais que pensez-vous - et ce sujet est corrélatif au précédent - de la spéculation immobilière pratiquée par les gens d'Église, non seulement à Rome où le scandale est flagrant et à ce jour non résolu, mais aussi...

- C'est un problème délicat qui pose des cas de conscience délicats. Oui, nous l'admettons, l'Évangile est difficile à réaliser dans l'immobilier et une commission ad hoc vient d'ailleurs d'être créée afin que le Peuple de Dieu perçoive mieux les implications de l'Évangile et son impact prophétique face aux dérives foncières.

- Et le divorce ? Car il faut tout de même revenir au vécu des gens, les catholiques et les autres. Là aussi que d'intransigeance !

- Je parlerai plutôt d'exigence. Mais une exigence aimante. Car il faut toujours apporter un effort de compréhension, dans un esprit évangélique, sans juger les personnes. Certes, c'est un problème douloureux, mais la miséricorde de Dieu est infinie. Là encore, tout doit être déchiffré à la lumière de l'Évangile en différenciant l'essentiel du secondaire.

- Précisément, en ce qui concerne le célibat des prêtres dont on reparle beaucoup ces temps-ci, y voyez-vous un élément de la crise catholique essentiel ou secondaire ? Il semble qu’il y ait eu quelques ouvertures…

- C'est un point délicat sans être névralgique. La polarité ne doit pas en être psychologique, mais évangélique : il s'agit de disponibilité sacramentelle. Ouverture ne peut pas rimer avec conjoncture et l’on ne peut cacher la lumière en la plaçant sous le boisseau. La lumière doit donc être faite sur le sens évangélique du sacerdoce, non pas dans un contexte professionnel, mais dans un champ vocationnel : une disponibilité sacramentelle, je le répète, à incarner la disponibilité de l'Apôtre dans la vérité de l'Être, et ce, dans une dynamique de service fraternel à l'égard du Peuple de Dieu.

- L'armement nucléaire ? (Léger ton d'exaspération chez le journaliste) on en parle beaucoup au sujet de l'Iran, c'est donc un problème toujours crucial.

- Il faut inscrire l'armement nucléaire dans un esprit de paix. L'Église quant à elle doit apporter l'Amour aux hommes, à tous les hommes, à travers la douceur évangélique et le respect de la puissance publique. Comme l'a dit Jésus-Christ, rendre à César ce qui est à César et à Dieu ce qui revient à Dieu. Le pape Benoît XVI l'avait naguère précisé dans son message pascal, avec l'acuité prophétique qui le caractérisait au-delà des vaines polémiques : « Il s'agit, pour tous les peuples en “exode“ - disait-il - de passer de la guerre et de la violence à la paix et à la concorde. » C'est fort et novateur, n'est-ce pas ? Et tellement prophétique.

- Venons-en à l'avortement. En Espagne, on fait machine arrière. En France, un sujet qui paraissait clos rebondit et nombre de catholiques semblent vouloir se mobiliser. Monseigneur, voilà un sujet vraiment concret qui touche des millions de femmes et sur lequel il ne semble pas qu'il y ait beaucoup d'avancées de la part de la hiérarchie catholique ? (Le ton de la journaliste manifeste une certaine nervosité.)

- C'est un problème douloureux. L'Église est toujours contre, forcément, mais dans un esprit évangélique. Tel est le paradoxe de la Foi.

- Pour en revenir aux nombreux scandales de pédophilie sur lesquels il faudra bien que vous vous exprimiez sur ce plateau, ne pensez-vous pas, Monseigneur, qu'ils soient liés d'une part à une sorte d'omerta qui a trop longtemps régné dans l'Église et d'autre part à la discipline du célibat qui devient obsolète ?

- Les cas de pédophilie ne doivent pas être isolés du contexte ecclésial et surtout sociétal pour ne pas dire mondial. Là encore, faisons bien la différence entre l'essentiel et l'accessoire, entre souci d'élucidation et campagne d'opinion, entre charité exigeante et calomnie malveillante. En nous basant toujours sur le socle catholique, au sens étymologique du terme, katolikos, c'est-à-dire universel. Ce qui est universel, permanent, catholique et donc forcément apostolique, c'est la miséricorde de Dieu. À tout péché miséricorde ! Et dans ce domaine, plus que jamais, comme l'a rappelé naguère le pape Benoît XVI à Ratisbonne, ce qui est essentiel, ce n'est pas l'émotion, ni l'agitation, mais la Raison. Le pape François va d’ailleurs dans le même sens : une intransigeance certes, mais éclairée et guidée de l’intérieur par la miséricorde. « Ne jugez pas et vous ne serez pas jugé. Ne condamnez pas et vous ne serez pas condamné. » De toute façon, nous allons organiser l'automne prochain un colloque sur Dieu à l'Institut Catholique de Paris qui résoudra bon nombre de problèmes dans un contexte de réflexion œcuménique et aplanira tous les scandales et les bavardages dans une dynamique de recherche de Vérité et de réconciliation fraternelle, celle-là même qu'enseigne l'Évangile, Bonne Nouvelle pour notre monde qui, plus que jamais, a soif du Dieu Vivant et meurt de cette soif inapaisée.

- Il est l'heure de rendre l'antenne. Nous remercions Mgr Martin d'avoir bien voulu apporter des réponses précises et ouvert quelques pistes novatrices pour le XXIe siècle.


Pour la petite histoire, je signale que ce dialogue, ici un brin actualisé, accompagnait déjà les bulles de Claire Bretécher dans sa série LES FRUSTRÉS (Le Nouvel Observateur du 21/10/1974). En 1996, dans mon premier livre (J. l'Apostat - Fragments d'une errance), je reprenais la même BD avec quelques menues retouches dans une ou deux bulles. Trois fois rien... A la même période, dans l'édition du Monde du 6 novembre 1993, Jacques Gaillot (“ le petit évêque rouge ”) s'écriait : « Des communautés chrétiennes meurent ! Les prêtres se font rares. Pourquoi tant de blocages et si peu d'imagination ? » Le 4 avril 2010, je faisais paraître sur le site du Monde une longue chronique intitulée « Langue de buis » et qui commençait ainsi : Quatre journalistes interrogent un archevêque sur le thème « Église et modernité » etc. Aujourd’hui, fin janvier 2014, la même chronique un tantinet dépoussiérée. Trois fois rien (bis). Pour la fête de Pentecôte, le 3 juin 2027 etc. etc. etc.

Car, décidément, les années passent et rien ne change... Normal, puisque la Sainte Église Catholique et Apostolique détient les paroles de la Vérité et possède les clés de l’Éternité per saecula saeculorum.

AMEN.


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Extrait de "J. l'Apostat" (Page 180)
Avec l'aimable autorisation de Claire Bretecher


P.S. Mon grain de sel dans un blog du Monde, le 25/01/2014 :

   25/01/2014 - 11h04


Le fondateur du christianisme a dit (entre autres) ces 2 paroles : "Mon Royaume n'est pas de ce monde" et "Heureux serez-vous quand à cause de mon Nom vous serez haïs, méprisés, persécutés". On n'en est pas là, pas de lion en vue dans l'arène ! En attendant, que nos Hexagonaux - n'étant pas au-dessus de leur divin Maître - jubilent, ne bronchent pas, ne pétitionnent surtout pas contre un prétendu "catho bashing" puisqu'ils vont enfin en baver sous Hollande 1er et endurer la Béatitude promise