Site Officiel de Michel Bellin - Extrait

Raphaël ou le dernier été - Extrait

SCENE 1

Julius est sur le pas de la porte d’entrée et parle à un personnage qui reste dans la coulisse.

JULIUS - Laissez, Alicia, je verrai moi-même… Rien de grave, je vous assure, la routine. Et il faut vraiment que je me repose maintenant… je vous en prie, au revoir… oui, c’est cela, à plus tard. (Faisant une confidence au public.) Je hais cette femme… Son insistance, sa prévenance. Sa charité me tuera plus vite que mon mal ! Et sa manie d’estropier la langue française (Julius imite l’accent espagnol de sa gardienne.) « Le Figaro ? Môssieur Julius ! Vous avez fait un annonce dans Le Figaro ! » Si elle savait dans quel mensuel j’ai passé ma petite annonce ! Ah ! La pipelette, la sournoise avec son museau de fouine. D’ailleurs… (Soudain une douleur fulgurante transperce Julius. Il se redresse en mettant les mains ses reins.) Ah ! La garce ! Déjà… Tu veux te battre ? Vas-y…mords… je ne résiste pas… Attaque, attaque ! Vanitas vanitatum… Souffrir… et rester digne…encore et toujours. Lâche-moi, garce, lâche-moi donc. Je dis « pouce ». Je ne suis plus de taille à me battre… Faisons la paix. Oui, c’est ça, ma garce, un peu de répit… Gentille, gentille, merci…Là, là, tout doux… C’est toi la plus forte. Laisse-moi, laisse-moi donc m’endormir maintenant. Tu as eu ton compte, non ? Oui, juste dormir, dormir, dormir… et omnia vanitas !

Il s’approche de son fauteuil mais on sonne. Le vieil homme va ouvrir en maugréant.

SCENE 2

JULIUS - Entrez, entrez, jeune homme…

Raphaël entre, un peu hésitant. Il est vêtu d’un jean, d’un ample T-shirt. Aux pieds, d’énormes baskets. Il porte une besace en bandoulière.

RAPHAEL - Excusez-moi… euh ! Bonjour… un gros problème sur la ligne 9…

L’adolescent se balance, légèrement, décontenancé.

JULIUS - Entrez. J’étais convaincu que vous ne viendriez pas.

RAPHAEL - Mais pourquoi ? C’était entendu, n’est-ce pas ? Je me suis pas trompé au moins ?

Raphaël fait mine de battre en retraite. Julius le retient.

JULIUS - Restez, voyons. Nous sommes bien mercredi et un retard peut arriver, indépendant de notre volonté, comme on dit.

RAPHAEL - Vous savez, d’ordinaire, je suis toujours ponctuel. Du moins, j’essaie. La politesse, c’est l’exactitude des rois, n’est-ce pas ?

JULIUS - Je dirais l’inverse, mais le sens y est. Vous avez tout à fait raison.

Sidéré, Raphaël regarde la bibliothèque. Il siffle d’admiration.

JULIUS - Vous aimez les livres, jeune homme ?

RAPHAEL - Oui, j’adore, je dévore…

JULIUS - Et qu’aimez-vous donc vous mettre sous la dent ? Mais venez, allons nous asseoir. Je ne peux pas rester debout trop longtemps. Avancez, avancez, je vous suis.

Raphaël file devant. Julius le suit. Il fait deux pas puis s’arrête, troublé. Raphaël le sent et se retourne.

(…)