Site Officiel de Michel Bellin - Extrait

JOAN

À treize ans, Joan avait déjà la beauté à la fois discrète et provocante de l’adolescence. Moi, j’allais sur mes seize ans. Chaque matin, je l’attendais au sortir du réfectoire qui déversait son flot bruyant d’élèves. Posté sous un platane aujourd’hui couronné de feuilles alanguies, demain dénudé par les rafales cinglantes de la bise, bientôt bourgeonnant de toute la vigueur d’un nouveau printemps. Car tel était notre lieu de rendez-vous, à la fois immuable et changeant.

Aussitôt apparu sur le seuil, comme aimanté, Joan courait vers moi de toute l’agilité de ses longues jambes dénudées. Ses boucles brunes dansaient sur son front, sa blouse bleue serrée à la taille et qui lui tombait jusqu’aux genoux se gonflait comme une voile. À quelques pas, soudain encore plus réservé qu’à l’ordinaire, il ralentissait, s’approchait, me tendait une main pâle, levait vers moi un sourire ineffable tout en murmurant « bonjour ! », toujours le même bonjour à la fois timide et ardent. Sous ses longs cils, sa joie chantait dans l’éclat étonnant de son regard. Joan avait des traits d’une extrême délicatesse et je ne me lassais pas d’admirer un visage aussi fin.

Nous n’avions pas grand-chose à nous dire. Surtout pas de secret. Nous marchions simplement côte à côte, posément, heureux d’être réunis l’espace d’une récré. Quelque chose d’indéfinissable, impétueux et très doux, nous portait l’un vers l’autre et nous accompagnait. Un contentement délicieux m’inondait car ta présence, Joan, m’isolait du reste du monde et m’apaisait comme un onguent.

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