Site Officiel de Michel Bellin - Extrait

INCIPIT

Je revis souvent ce matin d’été que le sirocco rendait encore plus incandescent. Nous étions calfeutrés sur un piton abandonné, quelque part dans les montagnes de Kabylie. L’aumônier déboula et s’avança aussitôt vers moi. « Julien est mort, tué près de Palestro dans une embuscade. Vous étiez du même cours, n’est-ce pas ? »

J’avoue ne pas me souvenir des circonstances dans lesquelles naquit cette amitié qui nous lie encore si profondément. Tu étais alors élève de seconde ; j’étais ton professeur de Lettres. Peut-être un jour me parlas-tu de la grave maladie de ta mère ? Elle se mourait doucement et toi, Pierre, tu étais désemparé.

Notre relation dura tout juste le temps d’une fin d’année de Terminale. Tu étais, cher Warren , ce que j’appellerai un cheval rétif, piaffant sans cesse, ruant dans les brancards des contraintes scolaires et des vexations disciplinaires.

À treize ans, Joan avait déjà la beauté à la fois discrète et provocante de l’adolescence. Moi, j’allais sur mes seize ans. Chaque matin, je l’attendais au sortir du réfectoire qui déversait son flot bruyant d’élèves.

Ce solide montagnard, campé sur ses guiboles arquées, fut toujours pour moi l’incarnation de l’hypocrisie. Ernest avait le regard fuyant et le sourire faux des gens toujours à l’affût de quelque coup tordu. Une charpente toute en muscles malgré la petite taille, une force stupéfiante dont il savait se servir quand il voulait.

Durant mon adolescence, Fabrice fut sans aucun doute ma passion la plus brève et la plus ravageuse alors que rien ne le laissait présager.

Un immense nez planté dans un visage en lame de couteau ! Ses copains l’appelaient La Niffle, moi simplement Norbert. (Parfois “Mon Cyrano” car il appréciait doublement le possessif et la plus-value culturelle.)

À seize ans, tu avais, Gillou, la beauté d’un ange de Botticelli. Une sveltesse, une gracilité, le nimbe doré de tes cheveux, un rien de bouderie enjouée dans ta prunelle azur.

Damien était un adolescent d’une grande timidité, lisse, effacé et tranquille.

Douze ans de différence. Est-ce peu ? Est-ce trop ? Depuis la mort de mon père (je promis de devenir prêtre juste avant son ultime râle) - il était sans aucun doute l’un des meilleurs amis du tien - j’étais devenu tout naturellement le fils de la famille, le grand frère que tu n’avais pas, Philippe, celui qu’on admire et à qui l’on s’attache.