Site Officiel de Michel Bellin - Extrait

ÉMOIS (extrait page 138)

34. Back room

(Texte paru sur le blog de l’auteur le 28 mai 2009.)

C’est choquant ? C’est banal ? C’est jouissif ? C’est exaltant ? C’est triste ? C’est délirant ? C’est beau ? C’est dégueulasse ? C’est affligeant ? C’est érotique ? C’est pornographique ? C’est bien écrit ? C’est n’importe quoi ?… « C’EST » !

C’est un seul corps qui se baise. Qui s’encule et se fait pomper par lui-même. Juste des râles. Pas de mot. Des milliers de mains qui le bâtissent et le révèlent. Le dessinent. Des culs qui se tendent, qui appellent, offerts, gémissent. Des bouches au niveau des culs, le corps par-dessus tête. Des amalgames. Qui gémissent, et râlent. Un seul corps qui prend, et qui est pris. Des souffles brûlants. Sur une joue, entre des lèvres des souffles qui restent. Longtemps. Les langues enlacées et l’odeur de soi multipliée. La saoulerie. Après la jouissance ils continuent. À se chercher. Eux-mêmes, dans l’autre. S’enlacent eux-mêmes, dans l’autre. Continuent à encore toucher l’autre. Attendre plus. Et toujours autre chose. Des peaux maigres. Des corps musclés. Qui se devinent et se caressent. Ne se reconnaissent pas. Une main dans une raie, douce, passe, excite. Une bouche qui tête un sein, l’avale, et des doigts sur un ventre, des joues. Toutes les parties du corps éparpillées et qui le recomposent, différent à chaque instant. Des râles. Des souffles rauques. L’odeur forte des sexes, des sexes offerts, qui prend à la gorge, et soûle. Les salives. Le jus qui coule des culs et des bouches. Le corps multiplié, mais seul. Absolument seul. Qui connaît ses propres mouvements. Se décompose, se recompose. Et jouit de lui-même, simplement de lui-même, respire et se régénère en lui. Comme une reine d’insectes. »

Emmanuel Adely, Mon amour, Editions Joëlle Losfeld, 2004.

Pour moi, je m’en tiens à ma définition : « Le sexe est une urgence sans raison. » Ma question : pourquoi l’obscurité fait-elle partie du cérémonial du back room (parfois appelée dark room, “pièce sombre”) ? En fait, si, je sais très bien pourquoi le noir fait partie intégrante de ce rituel informel et solipsiste. Rien à voir avec l’ombre de la culpabilité judéo-chrétienne. Simplement le no man’s land fantasmatique, le jeu, la surprise, la devinette, le nivellement par le clair-obscur de corporéités individuelles pouvant être disgracieuses, juste le Corps pluriel décomposé, recomposé, investigué dans une quête à la fois espérée et exaspérée. Une quête à l’aveugle et un cérémonial ayant ses règles et son code d’honneur (pas de paroles). Oui, il s’agit bien d’une liturgie en miroir, un « mystère » au sens antique du terme : « Prenez et baisez, ceci est mon Corps. Aimez-vous les uns dans les autres comme je m’aime moi-même. Que tous soient Un ! »

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