Site Officiel de Michel Bellin - Extrait

EMOIS (extrait page 134)

7. S’il te plaît, adopte-moi !

(Chronique parue sur lemonde.fr le 02 mars 2009.)

Dans quelques jours, mon fils va entrer dans un ESAT. Ce nouveau mot barbare désigne un centre d’aide par le travail. Nouveau projet de vie. Une place s’est libérée. Enfin ! Depuis si longtemps sa mère et moi guettions ce sésame. Avec quelle inquiétude ! Quelle impatience aussi. Car, après les trois aînés, c’est son tour de quitter le nid, même s’il est nettement moins doué pour voleter tout seul.

Romain est censé s’épanouir dans le cartonnage. Six mois à l’essai. Jolie chambrette et petit pécule. L’enfant devenu grand est théoriquement ravi. Mais il répète à l’envi : « À Paris avec papa tout seul ! » Son sens de l’ellipse verbale est toujours efficace. Comme son père, il a opté pour la décroissance. Je crains qu’il n’ait pas compris que ses week-ends parisiens lui seront désormais chichement comptés : il a un “lieu de vie”. Pour sa mère et pour moi, quel souci ! Quel soulagement surtout. À 22 ans, Romain ne pense qu’à jouer avec ses voitures miniatures, à écouter son baladeur. Comme son père, gentil looser. Sauf que nous n’écoutons pas la même musique : lui, c’est Skyrock, moi surtout Schubert. J’irai donc moins souvent le chercher pour voyager ensemble. Notre meilleur moment dans le TGV (entre deux agacements) : quand nous échangeons nos CD. Mais ça ne dure pas. Romain préfère définitivement Skyrock !

À la fin d’un de ses nombreux stages d’orientation, si souvent décevants, son responsable a noté un jour dans la synthèse : « Son choix ne va pas être simple pour lui entre le fait de grandir ou de rester petit. » Et plus récemment : « Romain ne parvient pas à intégrer la valeur travail. » Ce jour-là, ivre de fureur, j’aurais dévasté l’Institut ! Pourquoi le fils ferait-il mieux que le père dont la devise à 60 ans est : travailler moins pour vivre mieux ? Nous sommes aussi handicapés l’un que l’autre. Quel tracas ! Quel réconfort.