Site Officiel de Michel Bellin - Extrait

[Chronique de Paul Siméon. Cahier n°41.]

Saint-Loup-de-la-Salle. Ce samedi 16 août 1919.

Bizarrement, ce nouveau matin est né dans une fraîcheur de rentrée et un parfum vaguement automnal. Ce répit fut d’ailleurs de courte durée et le reste de la matinée a été aussi caniculaire que les jours précédents.

Quinze jours déjà que me revoilà en Bourgogne. Dans quelques jours, ce sera le départ pour mon cher Jura. Paris est loin, Elisabeth aussi… Et je sens poindre l’ennui et la plate conformité à laquelle un jeune homme de mon âge et de mon rang doit allégeance. Me restent heureusement le soleil, la rivière, une nonchalance en guise d’indépendance et surtout, entre les pages de ce nouveau cahier, les pépites de quelque amour insensé que je continue de collectionner, là, dans le secret de ma mansarde, sans rien me cacher, sans rien m’épargner, au milieu d’un flot de trivialités et de séculaires rituels qui m’amusent plus qu’ils me répugnent. Et puisque c’était aujourd’hui la fête du village, nous avons assisté, comme chaque été, à une deuxième grand-messe. On honorait en effet St Roch, second patron du pays, dont le large chapeau, le genou saignant et le chien nourricier se détachent en effigie dorée au fond de la nef. Avant l’office, une escorte précédée de musiciens armés de flûtes, hautbois et cornets à pistons a apporté la statue du saint ainsi que la brioche bénite. La barrette sur le nez, écarlate en ses dentelles, M. le curé attendait pour se poster humblement en tête du cortège et faire en grande pompe le tour du sanctuaire. Nous sommes entrés ensuite dans les nefs basses remplies de paysannes. Dieu merci, la messe m’a semblé plutôt courte et j’avoue avoir été rempli de distractions, songeant à mon inconnu de l’Assomption. Sur le parvis, mes sœurs et moi avons fait la connaissance de la grand-tante douairière Léontine de B*** que nous dûmes saluer dans les règles de l’art. Mais hélas, pas de jeune étranger en vue. Depuis hier, j’ai décidé de l’appeler Messire Inconnu.