Site Officiel de Michel Bellin - Extrait

UN DEVOIR D’ATHÉISME

Le vieux Julius a ri franchement. Ce gosse l’amuse et l’attendrit. Raphaël est en verve. Plus moyen de l’arrêter !

RAPHAEL - En fait, ça me déplaît pas de rester dans le doute. Même à mon sujet… J’ai pas envie de montrer que je suis homo par des mimiques, ma façon de marcher, le genre « folle du cul » ! Moi, j’aime les hommes… enfin les garçons… mais j’en suis un, avant d’être pédé. C’est le plus important. Mais vous, Julius, comment avez-vous été sûr ? Vous l’avez su depuis toujours ? Même quand vous étiez curé ?

JULIUS - Je t’ai dit que j’avais été prêtre ?

RAPHAEL - Oui, oui. D’une manière détournée. Mais, méfiez-vous, je dis rien, je suis discret, j’observe et… j’imprime.

JULIUS - Tout cela est de l’histoire ancienne. De la préhistoire. Laisse tomber…

RAPHAEL - En fait… ça vous gêne de parler de tout çà...

JULIUS - Quoi ? L’homosexualité ?

RAPHAEL - Non, non bien sûr… je voulais dire… Dieu… la religion… quand vous étiez encore…(Julius l’interrompt brutalement.)

JULIUS - Non, ça ne me gêne pas. Pas du tout. Juste une question d’hygiène. Quand un chancre est enfin cicatrisé, il vaut mieux ne pas le gratter sans cesse, n’est-ce pas ? (Un temps de silence.) Sinon, c’est la rechute. Dieu… Dieu… qu’est-ce que tu en sais, toi ? (Silence embarrassé de Raphaël.) Ils disent tous que le cadavre du Bon Zeus bouge encore ! Aujourd’hui, on fait dans le spirituel, le retour aux racines, la revanche de Dieu. Sornettes ! Billevesées ! (Julius s’énerve) Intoxication médiatique ! Tu veux savoir, Raph, mes conclusions sur Dieu après 10 ans d’études et 40 ans de désintoxication théologique ? Dieu, c’est rien… trois fois rien. Une hypothèse… une rumeur… nada. Et je n’ai pas besoin qu’Il existe pour vouloir encore m’en débarrasser ! (silence) Fini le catéchisme, j’espère ! Bon. Rideau. (Après un pesant silence, Julius s’est radouci.) Excuse-moi, Raph, je m’emporte toujours… Qu’est-ce que tu veux savoir à la fin ? Tu voulais me questionner ?

RAPHAEL - Pas vous questionner… juste savoir… essayer de comprendre…

JULIUS - Comprendre quoi ?

RAPHAEL - Vous… dans votre jeunesse… C’est drôle, je n’arrive pas à vous imaginer curé… on en a déjà vaguement parlé… Et pourtant, ça devait vous aller pas mal !

JULIUS - C’est vrai, ça me coûte d’en parler. Mais c’est important de voir la vérité en face. Enfin, ma vérité…. Regarde, mardi dernier, comme tu t’es confié à moi… comme tu as osé être vrai… (Songeur) Avec toi, Raph, je ne veux plus fuir, je n’ai plus le temps et, surtout, tu ne le mérites pas… (Une pause) Si, si, tu peux me croire, j’ai été un bon prêtre, très crédible, un jeune abbé enthousiaste. Ah ! Si tu avais pu me voir alors sur mon Solex tous terrains…

RAPHAEL - Vous avez fait du Solex ! En soutane !

JULIUS - Mais non, je n’ai jamais porté de soutane, du moins pas très longtemps… J’étais déjà un peu hors-normes, sais-tu ? Un vicaire tout à fait dans le vent ! Oui, je courais à toute allure, partout, pour annoncer la Bonne Nouvelle. J’y croyais à cette époque, j’étais sincère… et si éloquent ! Tu ne peux pas imaginer, Raph, le succès que j’avais, surtout auprès des femmes. J’avais réponse à tout, incollable sur Dieu. Un ventriloque surdoué ! Chaque paroissien qui m’approchait, homme ou femme, repartait rassuré. Du moins ils avaient la politesse de me laisser croire que j’avais répondu à leurs questions…

RAPHAEL - Quoi comme questions ?

JULIUS- Des tas ! (Julius imite une femme.) « Mais, mon Père, pourquoi Dieu ne répond-il pas à mes prières ? Pourquoi se tait-il ? Pourquoi est-ce si difficile pour lui de communiquer ? - Quand le Seigneur se tait, c’est qu’Il vous écoute. » Ou encore (Julius imite une voix d’homme exaspérée.) « Mais le mal, la souffrance, bon Dieu, qu’est-ce que vous en faites ? Et ce bébé que ma femme a perdu dans son ventre ? – Tout vient du Père, tout retourne au Père. Dieu nous laisse libre. Que serait un amour sans liberté ? Dieu est pur Amour. » Evidemment ! (D’un ton à nouveau hargneux.) CQFD ! Imparable, non ?

RAPHAEL - Je sais pas… En tout cas, c’est des bonnes questions. Mais après… qu’est-ce qui s’est passé, après ? Pourquoi ça n’a plus marché ?

JULIUS - Pourquoi je suis parti ? Ah ! C’est à la fois compliqué et si simple… Tout est arrivé un jour d’été. À dire vrai, le ver était déjà dans le fruit… Tiens, un après-midi comme aujourd’hui. Il faisait très chaud, l’heure de la sieste, le téléphone avait sonné dans le presbytère. (Silence.) Longtemps, longtemps… la stridulation du malheur. Il a fallu que je parte à toute vitesse… (Autre très long silence.)…

(…)

Extrait du chapitre 5