Site Officiel de Michel Bellin - Extrait

LE BAISER AU LEPREUX


Pour Hugo le Battant

Trois heures du matin. Je rentre chez moi à scooter. Il faut être dingue pour une virée à cette heure ! Heureusement, en ce début juillet, il fait bon, presque doux. Je viens de laisser Hugo. Nous nous sommes rencontrés tout à l’heure (hier soir !) pour la première fois. Il avait entendu parler de mon atelier d’écriture et voulait en savoir un peu plus. Envoi de doc, projet de rencontre informelle (peut-on imaginer que la Littérature parfois prend corps ?!) bref, pour finir, c’est moi qui ai fait le déplacement. Au téléphone, je l’avais senti stressé, fébrile. Je le découvre tel : contrarié, tendu, une invraisemblable histoire de bagnole et d’assurance… L’appartement est dévasté, des papiers jonchent la moquette. Hugo hésite à me recevoir chez lui, mes fougasses ne demandent pourtant qu’à réchauffer l’atmosphère via le micro-onde… Rien n’y fait. Trop de bordel partout, trop de stress dans sa tête. Il a honte. Finalement, nous nous retrouvons dans un restaurant tout proche, à deux pas du lac. Il se détend enfin, nous échangeons, nous nous découvrons et – miracle – le courant passe enfin : Hugo est séropo, ne parvient pas à s’adapter à la vie savoyarde, pas d’amis, vie affective et sexuelle nulle, les CD4 à la baisse… Je lui parle de moi, du tournant périlleux de ma vie : à presque cinquante balais, j’assume enfin mon homosexualité, je déclenche volontairement le séisme, je meurs et renais avec toutes les conséquences qui en découlent : la famille explose, nos ados « savent », ma femme trouve l’alibi rêvé pour me larguer, avec le temps va tout s’en va… et mon ami lui aussi est séropo, très épris mais bancalement bi, rien n’est parfait… sauf la perche cuite à point, qui fait passer la potion de la vie.

Retour à l’appartement. J’ai apporté des compacts disc et nous écoutons ensemble la musique de relaxation que je lui ai concoctée. Enfin tout au bonheur de m’accueillir, Hugo téléphone à une vieille copine qui habite à deux pas. Elle accourt, nous bavardons amicalement. Notre hôte tient à visionner une vidéo qu’il vient de recevoir de Londres, un document très didactique sur l’univers homo. Je trouve cette approche outre-Manche délicieusement explicite ! La dame, contre toute attente, n’est pas du tout choquée ; elle se déclare mauvais juge, trouve pourtant ces english bien peu sexy, pouffe tout haut à la pensée de son vieux mari grincheux la surprenant à zieuter ces « cochonneries » ! Nous rions à notre tour. Isabelle en profite pour s’éclipser à la cuisine afin de lui rendre un air civilisé : une vaisselle de trois jours dégorge du bac ! Lâchement, nous laissons opérer la magie féminine…

Et c’est alors qu’une impulsion monte en moi, évidente, irrésistible – pas le désir, je le jure, ça se verrait ! – non, une force d’empathie, comme un devoir d’aimer, impérieux. Hugo s’est de nouveau rembruni, je le sais, je le sens. Alors – audace absolument inédite chez moi, inouïe – je m’approche, je l’effleure…

(…)

Extrait du chapitre 3